mercredi 6 novembre 2019

Pour l’amour du petit Célestin

 Je l'ai appelé Célestin comme Freinet dont le travail pertinent et sincère, militant de la cause des enfants, du citoyen et du progrès social, n'a guère influencé les pédagogues penseurs de notre grande maison Education Nationale.

Célestin est un petit garçon qui, après deux années de maternelle, arrive en grande section et ne sait pas compter : il est incapable de retenir la suite des nombres au-delà de six - et encore ! et il est incapable de dénombrer. Lorsqu'on lui demande combien il y a d'objets devant lui, il en oublie certains et en compte d'autres deux ou même trois fois ; chez lui, la récitation de la suite des nombres est presque indépendante du geste de montrer les objets. Si vous lui demandez plusieurs fois de suite combien il y a d'objets devant lui, il est obligé de les recompter, à chaque fois, même s'il n'y a en a que trois. Il ne sait pas non plus dire si cinq est plus ou moins que quatre. Célestin n’a pas la moindre idée de ce qu'est un nombre. Une catastrophe.

Célestin a bien sûr d'autres difficultés : il articule très mal, sa syntaxe est chaotique ; il n'est pas intéressé par ce qu'on apprend à l'école, il préfère jouer. Alors, vous pensez s’il est loin de la lecture... ! A l'école, Célestin est un enfant effacé, tranquille, plutôt facile, toujours d'accord pour faire ce qu'on lui demande. Seulement, il traîne, il souffle, il se laisse distraire, il joue et finit même parfois par s'endormir sur son ouvrage. Lorsqu’il n'est pas sollicité par le maître, presque toujours, il est dans la lune.

Mais Célestin n'est pas du tout un bêta. Il est même au contraire très fort pour comprendre comment fonctionnent des trucs mécaniques qui laissent les autres enfants perplexes et il a toujours une solution concrète et hardie pour se sortir des situations difficiles de la vie courante. Et puis, en ce qui concerne les affaires des grandes personnes, on peut dire qu’il en a une connaissance étonnante et même une certaine finesse de jugement.

Le conseil de cycle a décidé que Célestin devrait "bénéficier" du tout nouveau dispositif de l'aide personnalisée (APED), deux fois par semaine, de quatre heures à cinq heures. Aussi les maîtres de l'école se pressent-ils le citron pour trouver comment ils vont aider Célestin à surmonter ses difficultés : prendre appui sur ses compétences, sur les domaines qui l'intéressent, bien sûr ; revenir sur des notions qu’il aurait dû acquérir en petite et moyenne sections, évidemment ; acheter du matériel pédagogique spécifique serait intéressant également ; et cetera. Et c'est parti pour une cinquantaine d'heures, avec au final - je le prédis - un résultat décevant, des acquis qui demeureront trop fragiles, une motivation qui brillera toujours par son absence.

Il faut chercher ailleurs. Vous m'avez compris : dans la famille. C'est que le système familial de Célestin, pour le peu que nous en savons, est plutôt compliqué, avec une géographie peu banale et des relations internes parfois tendues. Il n'y peut rien, Célestin, mais à présent que les orages sont passés, que les adultes ont bien tout fait pour le préserver de dégâts collatéraux, il s'y trouve tellement bien, si confortablement chouchouté, qu'il n'a pas du tout envie qu'on y change quoi que ce soit. Vous allez comprendre...

Fidèles à notre principe d'associer la famille aux actions de remédiation aux difficultés, nous avons rencontré la maman et le papa de Célestin à maintes reprises, avec le grand frère, ainsi que les grands-parents, et bien que nous dussions reconnaître que nous avons échoué dans notre entreprise, par manque de temps et d’aide extérieure, nous avons tout de même pu comprendre ce qui empêchait Célestin de s'intéresser aux apprentissages.

Voici : les parents ont divorcé peu après la naissance de Célestin. Bien sûr, c'est une chose naturelle, quand on ne s'aime plus ou quand, malgré l'amour, on ne parvient pas à vivre en harmonie, à faire la paix des ego. Lorsqu'ils sont en notre présence, les parents ne trahissent aucune animosité l'un envers l'autre ; nous les devinons seulement tristes et sur le qui-vive, comme si leurs blessures étaient encore douloureuses.
Célestin aurait pu penser que ses parents s'étaient séparés à cause de lui (comme cela arrive souvent lors d'un divorce, nous dit-on). Mais non, Célestin était trop petit. Son grand frère, en revanche… Célestin a cependant été considéré comme la personne qui souffrirait le plus de cette séparation. Toute la famille a donc veillé à ce qu'il soit constamment entouré d'attentions, préservé et consolé des difficultés de la vie. Sa maman en particulier a développé pour lui un amour un peu trouble, très excessif dans ses manifestations, doublé de surcroît d'une admiration véritable et parfois proche de la béatitude.

Le papa vit loin, avec une autre femme. Il reçoit ses enfants, par périodes, certains week-ends et pendant les vacances. L'éducation de Célestin et de son grand frère est pour lui un constant sujet de dispute avec la maman. Il affirme n'avoir aucun problème de discipline, tout en avouant tout de même sentir que quelque chose cloche, sans trop savoir comment le définir. En fait, et contrairement à ce qu'il dit en toute bonne foi, il me semble que le papa veut compenser son absence et tente de réparer les dégâts qu’il impute à son départ, par beaucoup d'indulgence.

La maman travaille. Elle se sent un peu coupable d'abandonner son fils en garde. C'est pour cela qu'elle compense elle aussi ce qu'elle croit un temps d'amour manquant par un temps d'amour augmenté, en lui pardonnant facilement toutes ses bêtises et en cédant à presque tous ses caprices. Elle avoue sincèrement avoir beaucoup de mal à lui refuser quelque chose.
Après le divorce, la maman est retournée habiter chez ses propres parents, avec Célestin et le frère de trois ans son aîné.

S’il est vrai que tout au long de notre vie, nos parents pensent conserver sur nous une autorité, un droit de nous parler franchement, voire avec sévérité, quitte à ce que ça nous soit désagréable, les grands-parents maternels de Célestin sont d’un genre plus invasif encore. Dès lors, comment, à presque trente ans, cette fille qui vit sur le territoire de ses parents pourrait-elle grandir, s'émanciper, bref, devenir une adulte et une mère à son tour ? Aux yeux de Célestin, qui voit ses grands-parents diriger la maisonnée, sa maman n’est qu’une enfant comme lui, une sœur, comme lui obligée d’obéir. Et puisque sa maman elle-même ne se positionne pas fermement en temps que mère, Célestin est parfaitement légitimé dans l'idée que sa mère et lui ont une place égale dans la famille ; c'est pourquoi, même devant moi, il lui parle avec tant d'assurance, d'insolence et de dédain, comme cela arrive entre les membres d’une fratrie ou les simples camarades de la cour d’école

Célestin est gardé la plupart du temps par ses grands-parents. A la maison, il est volontiers associé aux activités, surtout celles du grand-père, bricolage et jardinage, qu'il aime bien. Les grands-parents avouent cependant que Célestin n'en fait presque toujours qu'à sa tête. « Mais ce n'est pas notre rôle, de faire son éducation. Vous comprenez… » Disent-ils. On peut en effet leur concéder qu’ils n’ont pas le rôle principal, mais je crois qu'ils se trompent gravement s’ils renoncent à faire l’éducation de Célestin. Peuvent-ils en effet sans dommages traiter leur fille comme une enfant et, en même temps, octroyer à leur petit-fils les prérogatives d’un adulte ?

A la maison, avec tous les membres de sa famille, Célestin a le comportement typique de l'enfant demeuré au stade de l'égocentrisme : il se voit au centre du monde, il impose ses volontés, il pense que les autres n'existent que pour son service. Car nous en apprenons de belles :
- Il a des colères monstrueuses dès l'instant qu’on le contrarie un peu fermement, ou qu'il n'obtient pas ce qu'il veut, ou si on ne lui donne pas satisfaction assez vite. Un rien peut les déclencher, surtout avec sa maman qui finit toujours par lui céder. (En revanche, rien de cela à l'école, où cette façon de réagir ne lui vaudrait que des désagréments.)
- Quoi qu’on dise ou qu’on fasse, il finit toujours par désobéir, car c'est son désir qui prédomine, qui déclenche son intérêt ou sa répulsion pour les choses.
- Il sait tout, mieux que tout le monde. Il se permet ainsi de corriger sèchement sa maman lorsqu'il pense qu'elle se trompe, y compris en ma présence.
- Il coupe la parole aux adultes parce qu'il ne peut pas attendre de dire les choses ; on se demande parfois s’il ne dit pas exprès n’importe quoi pour le plaisir de couper la parole…
- Il n'écoute pas les autres. Quand il communique avec les adultes, c'est uniquement pour dire ce qui lui trotte dans la tête et non pour répondre à une sollicitation ou poursuivre une conversation (1). Parfois même, il signifie ouvertement son refus de subir une conversation qui lui déplaît en se bouchant les oreilles. C’est ce qu’il fait systématiquement lorsqu’on lui adresse un reproche.
- Et puis, il est jaloux de son frère. Et çà vaut la peine que je vous le raconte.

Au cours d'un de nos entretiens - face à nous, papa à gauche, maman à droite, Célestin entre les deux -, le grand frère qui lisait un livre dans un coin s'approche et s'appuie tendrement contre sa maman pour lui demander à l'oreille s'il peut sortir jouer. Je vois aussitôt Célestin s’agiter, son visage s'assombrir, et le voilà qui balbutie douloureusement « non, non » et tente de détacher son frère de sa maman en le tirant par la manche.
Une idée me vient… Ce sacré gamin, il faut qu'il sorte ce qu'il a dans le ventre et que ses parents en soient les témoins. Je dis « Bon, Célestin, va t'asseoir sur les genoux de ton papa. » Il résiste un peu, se demandant ce que j'ai derrière la tête, mais il finit pas y aller parce qu’il sait qu'ici, c'est moi le patron. Puis je le regarde bien droit dans les yeux et lui dis : « Célestin, maintenant, tu vas m'écouter. Ta maman a deux petits garçons et elle les aime tous les deux pareil. Alors ton grand frère va maintenant s'asseoir sur les genoux de votre maman et votre maman va lui donner un gros bisou, un gros, gros bisou pour lui montrer qu'elle l'aime. Après, il ira jouer et toi aussi, tu pourras avoir un bisou. » La réaction de Célestin est fulgurante. Il se débat pour échapper à l’étreinte de son père en hurlant un déchirant « Non ! C'est ma maman ! » - un cri qui lui vient du fond des tripes - avant de s'effondrer en sanglots, avec d’éloquents gestes de désespoir. C'en est trop pour la pauvre maman qui laisse rouler sur ses joues deux grosses larmes.

Nous avons alors une petite explication dont le but est de mettre des mots sur les sentiments de Célestin, de son frère et de sa maman, et de démêler ce qui, dans leur relation, est normal et juste de ce qui ne l’est pas (oui, nous avons cette prétention !). Un peu plus tard, une fois la tension retombée, la maman qui jusqu’à ce jour s’était toujours montrée extrêmement réservée, accepte enfin, quoique timidement, de se livrer. Elle avoue ainsi que le plus difficile pour elle, ce qui la chagrine et l'épuise, ce sont les sempiternelles disputes, parfois d'une violence effrayante, qui éclatent entre ses deux fils. Elle n'a pas la solution à ce problème et elle avoue donc avoir besoin qu’on l’aide.

J’ai bien quelques trucs à lui suggérer, mais à ce stade, je n’ose pas, car il serait plus judicieux de faire appel à un psychologue, un professionnel, d’autant plus que nous apprenons maintenant que Célestin dort dans le même lit que sa maman, e que je traduis par « il couche avec sa mère ».Et pas moyen de le tenir éloigné de ce lit ! Alors je me dis que c'est plutôt le grand frère qui aurait de bonnes raisons d'être jaloux, mais celui-ci me rassure, d’une syllabe et d’un geste signifiant « Ca ne me pose pas de problème. » Il semble donc plutôt bien l'accepter ; c'est en effet un bon garçon, déjà philosophe ; et c’est tant mieux. Mais en ce qui concerne notre petit Célestin, le constat est terrible parce qu’il est désormais avéré (pour nous) qu’il a pris la place de son papa dans le lit et dans le cœur de sa maman grande sœur.

La maman de Célestin n'est plus seulement sa soeur, elle est aussi son épouse. A observer les regards coulés d’attendrissement et d’admiration de la mère pour l’enfant, on voit de suite que ce n'est pas le complexe d'Œdipe qui est à l'œuvre ici, mais le complexe de Jocaste, la mère qui se prend d’amour pour son fils. Bon, si on ne croit pas à quelque vérité de la psychanalyse, on peut balayer cela d’un revers de main. Malheureusement, pour comprendre la gravité de la situation, nul n’est besoin d’une fumeuse théorie, le simple bon sens y suffit.

Je parachèverai ce portrait de famille en vous apprenant qu’au cours de nos entretiens, nous avons mis à jour que Célestin est parfaitement conscient du pouvoir qu’il exerce sur chacun des membres de sa famille. Pour preuve : lorsqu’un jour, à brûle-pourpoint, je lui ai demandé qui commandait à la maison, il m’a répondu sans la moindre hésitation : « C'est moi. » Qu’il se soit ravisé un peu, plus ou moins penaud et bredouillant, ne fait que révéler qu’il sait aussi qu’il vient de dire une énormité, qu’il sait que les enfants ne commandent pas à leurs parents mais leur obéissent. Je regarde la maman. Elle demeure silencieuse, le papa aussi. Elle sourit d’un air niais, le papa soupire avec une expression qui se voudrait plus grave…

Ces constats effectués, il nous reste à comprendre dans quelles dispositions Célestin arrive à l’école, pourquoi il a tant de lacunes, pourquoi il ne parvient pas à les combler, pourquoi il n’en fiche pas une rame à l’école.

D’abord, je me dis qu’à la place de Célestin, contraint par l'école, je regretterais moi aussi le doux cocon familial, où je suis le maître irresponsable et absolu. Je n'aurais pas envie de me faire violence pour accepter des règles qui me frustrent, pas envie de fournir des efforts qui ne m'apportent pas de satisfaction immédiate. Je me rebellerais... ou bien je jouerais l’absence au monde scolaire, comme lui.

Concernant ses difficultés de compréhension et ses retards d’apprentissage, je supputais que Célestin n'était guère sollicité à la maison, qu'on lui parlait sans doute assez peu, qu’on usait d’un vocabulaire simple, peu étendu, toujours le même, qu’on ne jouait pas avec lui et que la télévision devait souvent lui faire office de nourrice. Voilà des choses bien difficiles à dire à une famille sans qu’elle se sente mise en accusation - et de fait, c’est bien leur responsabilité qui est ainsi pointée. Alors, nous en sommes restés au simple constat et j’ai suggéré de petites choses à faire : lui lire des histoires, jouer à des jeux de société avec lui et avec son frère, limiter le temps de télévision, reformuler ce qu'il dit incorrectement, l’inscrire à une activité collective, et cetera. Est-ce que cela a été fait ? Je ne sais pas.

Enfin, si j’étais Célestin, je serais moi aussi découragé par trois années d’école sans plaisir, ni réussite. Sans doute aurais-je aussi comme lui déjà le vague sentiment de n’être pas à ma place et de faire partie des nuls. Et comme lui je me retrouverais à la marge d’un cercle vicieux, dont je finirais bientôt prisonnier, sans autre choix, afin de garder de moi-même une image satisfaisante, que de me mentir, de croire que mes raisons sont les meilleures et que ma nullité est en réalité mon titre de gloire.

C’est terrible, n’est-ce pas ? A ce stade de sa scolarité, si personne ne met le doigt dans l’engrenage pour briser le cercle fatal, Célestin est perdu : le voilà parti pour dix ans de souffrance scolaire, et à la fin… rien, ou presque. Mettre le doigt (là où ça fait mal !), c’est travailler sans relâche avec la famille, dans le but de l’amener à changer son mode de fonctionnement afin que Célestin apprenne à accepter la frustration, à différer la satisfaction de ses désirs (2), afin qu’il prenne confiance en lui sur le terrain scolaire et découvre la satisfaction de l’effort et de l’apprentissage. Mettre le doigt, c’est pour les enseignants revoir leurs façons de faire sous l’angle de la relation à leur élève et oublier la pédagogie qui n’est souvent qu’un bricolage répétitif, sans enthousiasme, qui peut s’avérer destructeur pour les enfants dont l’entourage ne les a pas préparés à s’y adapter. Nous ne parlons pas que de la réussite scolaire, nous parlons aussi du bonheur.

Avec la famille de Célestin, il y avait du boulot, c’est vrai, et nous y avons échoué, malheureusement. Mais il serait vain de la mal juger. La famille est le premier lieu social de l’enfant. Celle de Célestin, toute de guingois qu'elle puisse sembler, est composée de personnes qui s'aiment et se protègent mutuellement. Si cette famille fonctionne de cette façon inadaptée et parfois douloureuse, c'est à cause de son histoire, à cause des conditions économiques, à cause du dénuement culturel et de l'ignorance dans lesquels on l'a laissée ; elle n'avait sans doute pas la possibilité de fonctionner autrement. Déterminisme ? Certainement.

Pour aider cette famille à accompagner ses enfants sur le chemin de la réussite à l'école - et dans la vie -, nous ne gloserons pas sur le divorce, sur la maisonnée commune avec les grands-parents, sur le peu de disponibilité de la maman ou l'éloignement du papa, bref, sur les contingences. On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie, mais on peut essayer de changer son regard sur les choses de la vie. Il s'agit donc d'aider ces personnes à prendre conscience de leurs attitudes et comportements, ainsi que de leurs conséquences insoupçonnées ; il s’agit de leur apprendre à éviter les pièges dans lesquels les précipite souvent leur désir de bien faire.

Dans le cas de Célestin, je n’ai pas été assez convaincant, je manquais de temps et j’aurais eu besoin d’aide ; la famille n’avait quant à elle guère la volonté de changer : tout ça ne lui apparaissait pas bien grave. Célestin a donc continué de "bénéficier" de l'aide personnalisée et du soutien du RASED. Pour longtemps et pour pas grand-chose. L'année suivante, je voyais chaque matin la maman de Célestin qui le déposait à la porte de l’école, se séparait de lui d'un baiser mouillé sur la bouche et restait plantée là à l'admirer jusqu'à ce qu'il disparût dans le bâtiment. Et je voyais aussi le grand-père qui venait le reprendre à quatre heures et qui, jamais une seule fois, n’est parvenu à l'obliger à s'asseoir à l'arrière de la voiture, ni à attacher sa ceinture.
Célestin a maintenant dix ans et ses difficultés scolaires se sont aggravées. Bientôt il ira au collège.

Peut-être faudrait-il, avant que l’enfant paraisse, une école des parents, des grands-parents, des oncles et tantes, des frères et sœurs… sous quelque forme que ce soit, en un lieu où les personnes en charge d’éducation d’un enfant pourraient échanger des expériences, des inquiétudes, des recettes, où elles rencontreraient des professionnels, des psychologues, des enseignants, des éducateurs, des autres parents, des gens extérieurs, neutres, non concernés, qui pourraient leur apporter des réponses individuelles, les guider vers de bons principes d'éducation.

Peut-être faudrait-il aussi une école des enseignants qui soit bâtie sur le même modèle, où ils pourraient partager leurs expériences et… rencontrer des parents.


 Notes

(1) De nos jours, on écoute beaucoup les enfants. C'est bien. Mais la parole des enfants est devenue si importante qu'elle prend parfois le pas sur toute autre parole, à tel point que l'expression en soi se trouve favorisée au détriment de la communication et du sens. Des adultes, par exemple, s'arrêtent ainsi de converser entre eux pour écouter religieusement un enfant baragouiner n'importe quelle sottise avec la seule idée qu'on s'occupe enfin de lui et, pour finir, le gratifient même de chaleureuses mais hypocrites félicitations.
A l'école maternelle aussi, on observe ce travers, cette dérive de l’expression libre avant tout, qui fait perdre beaucoup de temps et n’éduque pas aux règles du dialogue. Je suis pour dire la vérité aux enfants. Si l’intervention est hors sujet ou motivée par le besoin d’accaparer l’attention, je l'interromprai : « Ce n'est pas le moment, nous ne parlons pas de cela, garde ça pour plus tard… »

(2) Un bon indicateur de l'enfant encore égocentrique est sa difficulté (dans le cas de Célestin, c’est carrément de l'incapacité) à se situer dans le temps, à dire si on est le matin ou l'après-midi, si le lendemain il y a de l'école ou pas, s'il doit attendre longtemps ou pas avant le repas, et cetera. Son besoin de satisfaction immédiate l’empêche de se projeter dans l'avenir. Ne connaissant pas la frustration, il vit dans un présent éternel.
Alors quand vous lui promettez le lundi de l'emmener au cirque « samedi prochain », il ne manquera pas de vous tanner toute la semaine pour y aller de suite ou savoir « C'est quand ? ». Horripilant, n'est-ce pas, mais pas de sa faute. Il n'y a que vous, ses parents, qui puissiez le sortir de cet égocentrisme.


NB : Une structuration du temps défaillante va souvent de pair avec la difficulté à comprendre la numération !