vendredi 20 septembre 2019

La recherche d’une vérité commune

(un cas d'école)

Revenons à l'école primaire et à l'éducation. Mon objectif est toujours le même : à vous, parents et enseignants, je veux démontrer que la réussite scolaire d'un enfant se peut se construire qu’au fil de votre dialogue, à la condition qu'il soit sincère, placé sous le signe de la confiance et de l'empathie. J’ai vécu dans l'exercice de ma profession de maître d'école des situations souvent difficiles, autant pour les familles que pour moi-même. Dans ce contexte, il m’a fallu parfois faire mon examen de conscience et me rappeler à mon devoir d’humilité ; je n’y ai pas toujours réussi. Voici le récit d’un de ces moments.

Il était une fois une maman à qui je disais, en début d'année, cette toute petite chose : que son petit garçon, entre autres difficultés, ne parvenait pas à mémoriser l'écriture de son prénom et qu'il était temps de s'en inquiéter car, en grande section d'école maternelle, tous les enfants y parviennent normalement sans problème. Et la maman me répondait : « Pourtant, à la maison, il sait... »

Nos deux affirmations semblent se contredire, n’est-ce pas ? Est-ce parce que l'un de nous deux ment ?
Je sais, moi, que je ne mens pas, et que ce que je dis là, je l'ai constaté maintes fois et même vérifié juste avant d'en faire part à la maman, histoire d’en être parfaitement sûr. Mais je ne crois pas non plus que la maman me mente, car il est possible qu'à la maison, pour diverses raisons que je ne connais pas encore, l'enfant soit vraiment capable de faire une chose qu'il ne sait pas faire à l'école, sinon, ce serait évidemment la maman qui mentirait, et à soi-même en premier lieu. Quoi qu'il en soit, dans ce dernier cas, jamais je ne lui en ferai part. Je la laisserai parvenir à sa propre conclusion, qu'elle l'exprime ou pas.

Que faire ? Puisque je viens de soulever un problème, il nous faut le résoudre. Ne jamais reculer, c'est la règle. La première et indispensable chose à faire est de nous trouver une vérité commune, sans quoi nous n’aurons aucune chance de parvenir à aider cet enfant à réussir à l’école.
Sans attendre, je demande donc à l'enfant d'écrire son prénom en lettres minuscules d'imprimerie. Il jette un coup d’œil interrogateur à sa maman ; celle-ci baisse un peu la tête en signe d’acquiescement et le voilà qui se met à écrire. Mais bientôt, il s'interrompt, hésite, se rembrunit. Alors la maman vient à son secours : « Voyons, tu le sais bien, ce qui vient après. A la maison, tu sais l’écrire, ton prénom. » Et comme l'enfant n’ose encore, elle finit par lui donner cette fameuse lettre qu'il connaît mais qu’il a oubliée. L'enfant continue et puis, sans s’en rendre compte, il inverse les deux dernières lettres. « C'est normal, parce qu'à la maison, je ne lui ai pas appris les minuscules. » Explique la maman.

Evidemment, cela n’a rien à voir, mais en deux phrases, cette maman vient de disqualifier, aux yeux de son enfant, le maître et son enseignement. Elle affirme en effet, contre l'avis du maître, que l'enfant sait ce que manifestement, à cet instant-là, il ne sait pas. Elle oppose aussi implicitement l'enseignement de l'école, qui n'aurait pas eu d'effet, à celui de la maison qui aurait été efficace. De cette manière, il arrive souvent que l'enfant donne davantage de crédit à ce qu'il a appris à la maison et considère par conséquent qu'il n'a plus besoin d'apprendre à l'école. Il n'entend donc plus la parole du maître ; et ça peut être une cause de difficulté scolaire.
Mais ce n'est pas volontaire, bien sûr. C'est seulement parce que les parents veulent que leur enfant réussisse à l'école qu'ils lui apprennent, par anticipation, tout un tas de choses à la maison. Et c'est très bien, c'est ce qu'il faut faire. (Les enseignants ne s’en privent pas avec leurs propres enfants, à l’excès parfois.)

Je vous donne un exemple : les parents savent lire, ils sont donc capables de montrer à leur enfant comment eux-mêmes font pour comprendre ces petits gribouillis des livres qui renferment des histoires. Pas besoin pour ça de sortir de master, bac + 5, il suffit d’expliquer à l'enfant : « Tu vois, là, sur ton bonnet, j'ai brodé ton prénom pour que la maîtresse sache à qui il appartient, si jamais tu le perdais. Les signes que tu vois sont des lettres. Pour chaque lettre, on dit un son. Pour lire ton prénom, la maîtresse dit comme ça, dans sa tête : M, A, KS, I, M, E. Maxime. » Et hop, le tour est joué. C’est une façon de procéder parmi d’autres. On lit des histoires dans un livre et on répond simplement aux questions. Il suffit d'un peu de logique et de patience pour emmener avec soi un enfant sur les chemins de la lecture.
Où est le mal ? Où est le danger de se tromper ? Il n’y en a pas. Les parents ne doivent pas avoir peur d’apprendre à lire à leurs enfants et les enseignants doivent l’accepter et ne pas avoir le sentiment d’abandonner une partie de leurs prérogatives ; ils ont tellement d’autres choses à enseigner ! Au moment où l'enfant est disponible pour un apprentissage, il serait idiot et néfaste de le lui refuser ?

La maman et moi allons donc chercher ensemble une vérité commune. Parce que j’ai un regard neutre, qui n’est pas biaisé par les œillères de l’amour, cette vérité sera certainement plus proche de la mienne que de la sienne. Pour amener la maman à entendre ma version, sans qu’elle se sente pour autant mise en examen, il me faut user de diplomatie, et plus encore, de délicatesse :
« A l'école, nous avons appris à reconnaître et à écrire les prénoms en lettres minuscules. C’est pour cela que je m’étonne que Maxime n’y arrive pas encore. Mais, en vérité, j’ai mon idée sur la question. Voyez-vous, j'ai remarqué une chose : c'est que votre petit garçon est très malin ; il comprend par exemple très vite comment s’épargner de la peine. Alors, peut-être à la maison avez-vous quelque part un modèle sur lequel il peut copier sans que vous vous en aperceviez ? Je le soupçonne même d’être assez habile pour se faire aider sans que la personne qui s’occupe de lui s’en rende compte. Alors, je me dis que si, tout en faisant illusion dans certaines circonstances, il ne sait toujours pas écrire son prénom sans modèle, c’est qu’il a trouvé moyen de s’économiser l’effort de le mémoriser… » Et cetera.

Et ainsi de questionnements en réponses, entraînant des ajustements, des concessions, des aveux, nous en arrivons au test qui va révéler à la maman notre vérité commune : quand je demande à Maxime d’écrire son prénom en majuscules, il ne le sait pas non plus. Cette fois, la maman et moi tombons d’accord pour dire que Maxime ne sait pas écrire son prénom de mémoire mais qu’il est assez intelligent pour y parvenir par toutes sortes d’autres moyens. Et je peux dès lors, sans crainte d’être incompris, dire à Maxime ce que nous attendons de lui : « A partir d’aujourd’hui, ta maman et moi, nous ne t'aiderons plus. Tu te débrouilleras tout seul. Parce que nous savons bien que tu es un petit garçon intelligent et que tu es parfaitement capable de retenir les lettres de ton prénom dans l'ordre. Nous comptons sur toi. »

Passée cette première étape, je peux maintenant avouer à la maman que Maxime a pas mal d’autres difficultés et que la raison profonde de ces difficultés est peut-être simplement qu'il croit ne plus avoir rien à apprendre à l'école et qu’il n'est donc pas intéressé par ce qu'on y fait. Je peux aussi lui demander d’être plus attentive à valoriser les apprentissages scolaires, et de veiller, lorsqu’elle veut apprendre quelque chose à son enfant, à ne pas lui mâcher le travail, mais au contraire à le laisser se coltiner la difficulté, à lui permettre de prendre la mesure vraie de ses connaissances et savoir-faire.

Avant que nous nous séparions, la maman, un peu inquiète, me demande :
« Cette histoire des lettres inversées... vous ne pensez pas qu'il pourrait être… dyslexique ?
Je lui souris comme à quelqu'un dont on se moque gentiment d'avoir dit une bêtise :
- Dyslexique ? Mais non, pas le moins du monde, madame. Vous allez voir, maintenant qu’il nous a entendus, qu’il sait que nous sommes d’accord, ça va s'arranger très vite. »

Le lendemain même, Maxime écrivait son prénom sans modèle et sans erreur, en majuscules et en minuscules. Pour ses autres difficultés, il a fallu attendre encore un peu. Normal, quand on manque d’entraînement, on n’escalade pas une montagne en une seule fois, on fait des pauses pour reprendre haleine.

mercredi 18 septembre 2019

La fin du collège unique, et ce qui s’en suit


C’était sous Valls, si je me souviens bien.

« Hier, j'ai regardé la télé et j'ai appris deux, trois choses. Par exemple, que notre gouvernement aurait trouvé la parade à l'échec (de sa politique ?) scolaire : en résumé, c'est la faute du collège unique et le collège unique doit donc être supprimé. La réforme phare fera que les élèves en difficulté se verront autorisés à quitter l'école plus tôt pour aller avec un tuteur s'initier à la mécanique ou à la coiffure.

Ca paraît une excellente idée, non ? Dans la mesure où ça abrège les souffrances de l'élève qui a décroché des apprentissages et qui désormais (ou depuis longtemps ?) subit l’école. Mais ne serait-ce pas en réalité une façon sournoise de se débarrasser du problème et, somme toute, un terrible aveu d’échec ? Après ça, le collège en effet n'aura plus besoin de se casser pour tirer vers le haut les élèves en difficulté ; à l'enfant qui ne se montrera pas capable d'apprendre, on ne demandera tout simplement plus rien. Comme Pilate qui s'en lave les mains !

On s'approche comme ça tout doucement du système allemand (je l'ai appris aussi) dans lequel, dès l’école primaire, les élèves qui ne montrent pas de dispositions pour les apprentissages ne sont pas poussés plus que ça à en acquérir et où le choix d'une filière se fait dès l’âge de dix ans. L'école allemande, qui n’a pas d’états d’âme, considère que si tu n'as pas fait tes preuves avant le collège, tu n'as rien à y faire. Direction CAP "und Arbeit". Pas question de glander ! C'est le fameux pragmatisme allemand ; un peu raide, mais bon, puisque nous prenons exemple, c’est que ça doit être bien. Ca a en tout cas l'avantage de faire baisser le taux d'échec. De la même façon, on crée un diplôme facile à obtenir et les jeunes qui sortent de l'école avec ce diplôme-là disparaissent aussitôt des mauvaises statistiques.

Dans le cas qui nous occupe, pas sûr du tout que le gamin exulte pour autant. Si encore les patrons avaient à cœur de former des apprentis, si les métiers manuels étaient convenablement rémunérés, si les métiers manuels étaient valorisés, et si les ouvriers avaient conservé cette conscience de classe et cette fierté farouche de travailleurs qui autrefois leur tenaient lieu de dignité ! Mais non. Les ouvriers n'ont plus d’orgueil, ils ne sont plus solidaires ; tétanisés par la victoire soudaine du capitalisme, ils restent cois, conscients de n’être que des pions, des rouages interchangeables et jetables, et capables seulement de mesurer l’ampleur de leur désespoir.
Se donnant l’illusion d’avoir gravi un échelon dans la hiérarchie sociale, certains à peine mieux lotis se voient de la classe moyenne. Dans notre inconscient collectif français (si cette chose existe), le travail manuel, l’artisanat même, sont destinés aux travailleurs non qualifiés, aux nuls. Qu’on m’épargne le couplet de la méritocratie et de l’ascenseur social sous prétexte qu’un plombier parisien gagne mieux sa vie qu’un directeur d’école ! N’importe quel CAP, c'est de la gnognote à côté du brevet des collèges. Certains enseignants ne se privent d’ailleurs pas de le faire remarquer à leurs élèves : « Monsieur Hormain, vous êtes un crétin. Ce qui vous attend à la sortie, mon vieux, c’est la pelle et la pioche, et au mieux, vendeur de chaussures. » Vous-mêmes, qui voyez un travailleur manuel, pensez tout de suite « Encore un qui n'a rien fichu à l'école ». C’est pour cela que la classe moyenne des gens qui ont une profession et non un métier, qui gagnent une fois et demi le SMIC, qui ont adhéré à l’amoral libéralisme, fort satisfaite de soi-même et encouragée par les politiciens intéressés, se démarque et développe un esprit de caste étroit et vain.

Cependant, même avec ton BEP, tu ne peux aspirer qu'au statut de smicard, sous-smicard dans la même gêne que le paumé illettré, bientôt que l’immigré qui accepte de travailler pour moins cher encore. Mais tout ça est du réchauffé : la revalorisation du travail manuel, j'en ai toujours entendu causer, sans jamais rien voir venir. Et les patrons artisans de geindre :
- L’école ne forme pas les jeunes au travail…
- Facile de critiquer, mais qu'est-ce que tu proposes ?
Je ne propose rien. Je ne peux pas changer le système qui veut ça ; tu comprends bien que si tu touches à un élément constitutif du capitalisme libéral démocratique, si par exemple tu augmentes le SMIC, tu provoques une réaction en chaîne qui met en péril l’équilibre inégalitaire, le déséquilibre économique institutionnalisé de notre société. Je ne propose rien parce que ce système ne peut pas résoudre ses contradictions, en l’occurrence, le nécessaire discours sur la noblesse du travail manuel et le nécessaire maintien du travailleur manuel dans le prolétariat, la servitude, la précarité et pour finir dans la pauvreté. Le système ne supporte pas une juste valorisation du travail manuel, pas même du travail tout court ; il faut jeter le système.

Mais comme la révolution n’est pas pour demain, face à cette situation, j'essaie de réfléchir à ce qui pourrait aider les enfants à ne pas se faire recracher par l’école, à ne pas en sortir trop amochés, à comment leur donner un espoir de ne pas totalement subir la fatalité sociale et, pourquoi pas, de maîtriser un peu leur destinée. Ca passe obligatoirement, d’abord par la capacité à s'adapter à ce monde, à son école, à son économie, à ses règles, de façon à pouvoir y survivre, puis par la compréhension de son fonctionnement, de ses mensonges et de ses dangers qui ouvre aux possibilités de s’en libérer. Voilà ce que devraient être le travail et la mission d’un enseignant : rendre chaque élève capable, en toute connaissance de cause, sans scrupules et sans regrets, de choisir sa vie, y compris en prenant des chemins de traverse. Evidemment, l’enseignant n’a pas tant d’influence sur la vie de ses élèves. Il ne peut d’ailleurs pas se permettre de sortir de son rôle qui est de faire entrer l’enfant dans le système et de lui en faire adopter la logique. (Ce fut particulièrement sensible les dernières années que je travaillais ; ça l’est davantage encore aujourd’hui)

Cette adaptation est cependant nécessaire et salutaire, je le répète, parce qu’entrer dans le jeu social, c’est se donner le temps d’être reconnu, de se faire une place, d’acquérir un minimum de sécurité et des outils pour l’avenir. Mais pour ça le collège arrive bien trop tard ; pour des enfants de 11 ans, il ne peut déjà plus rien, ou pas grand’ chose. La capacité d’un enfant à s'adapter se construit dans le milieu familial, dès la naissance. Or, naître est une loterie, n’est-ce pas, et les numéros gagnants sont plutôt rares chez les prolos. C'est en effet parmi les enfants des ouvriers, des pauvres, des immigrés pauvres, dans les cités, dans les banlieues, dans les campagnes que la proportion d’enfants en échec scolaire est la plus importante.
Tout le monde sait ça, on n'arrête pas de le répéter, mais les décideurs font comme s’ils ne comprenaient pas ce que cela signifie, en vertu de quoi tout ce qu’ils proposent (par exemple, la création des zones d’éducation prioritaire) n’est que succession de coups d’épée dans l’eau, quand ça n’aggrave pas la situation. C’est à cause du système ; ils y tiennent trop, à ce système, il ne veulent pas le remettre en cause, alors au lieu de s’attaquer à la misère, ils lui font la charité.

Ce n'est donc pas d'échec scolaire qu'il faut parler, mais d'échec social. L’école ne sauve pas un seul enfant parce que la société ne le veut pas - ceux qui le sont ne doivent pas grand’ chose à l’école même lorsque celle-ci remplit simplement sa mission qui est d’instruire. La suppression du collège unique ne rendra personne plus intelligent, elle entérinera seulement le déterminisme social.

A cette épidémie de difficulté scolaire dans les « classes populaires », il y a une explication que je n’ai pas évoquée, qui est en fait une question essentielle, mais pas politiquement correcte (ce qui n’est pas correct politiquement est subversif !), une question qu’il nous faut nous poser : les enfants nés dans des familles de « catégories socioprofessionnelles défavorisées » sont-ils plus bêtes que la moyenne ? ou encore, les ouvriers et les paysans sont-ils congénitalement idiots ? Certains, les mêmes sans doute qui pensent que les arabes sont menteurs et que les noirs courent vite, répondront que l’intelligence est héréditaire et que c’est parce qu’ils sont bêtes que les pauvres sont pauvres. Thèse parfaitement insoutenable, qu’il n’est même pas nécessaire de démonter : souvenons-nous de l’époque pas si lointaine quand les femmes étaient réputées incapables de diriger une entreprise, de conduire une voiture, de choisir un bulletin de vote. Le drame est que les pauvres, comme les femmes autrefois, croient vraiment qu’ils méritent leur sort parce qu’ils croient vraiment être moins intelligents que les élites.
Nous dirons plutôt que, de notre point de vue, l’aisance pécuniaire et la culture parentale sont des préalables au développement de l’intelligence des enfants (cherchez du côté de Bourdieu pour creuser un peu l’idée), car il est question ici de transmission par les parents des valeurs, compétences, postures, qui permettront à l’enfant de s’adapter à la société et à l’école, et de les bien comprendre. Pour ce faire, il faut non seulement que les parents eux-mêmes les possèdent, mais encore qu’ils aient l’esprit libre et du temps devant eux, ne soient pas obligés de se débattre quotidiennement dans des difficultés de tous ordres.
Quel force d’âme il leur faut pour s’extraire, en demeurant honnêtes, de ce cruel cercle vicieux de la misère autogène !

Comme Pilate, notre société s'en lave les mains.
A Marseille, un jeune a encore été tué, par un vieux qui avait des armes chez lui. Le jeune venait de cambrioler la pharmacie du coin et le vieux, de sa fenêtre, a joué les justiciers. Même l'oncle du jeune qui est mort avoue au micro des journalistes : « C'est terrible, on ne tue pas les gens pour ça... Mais quand vous êtes cambriolé dix fois, hein... Les jeunes, si vous leur dites quelque chose, ils vous mettrent le feu, alors... On vit dans une société pourrie. Voilà, c'est comme ça. » Quand vous entendez ça, vous ne savez pas quoi penser. Vous écoutez ce brave homme et dans sa voix lasse et cassée, vous ne sentez ni haine, ni esprit de vengeance, vous ne sentez que de la résignation et de la tristesse. C'est comme ça, dans la société du malheur : on ne croit plus en la raison.
Quand deux bandes de jeunes se battent à coups de barres de fer et de machettes, que certains restent sur le carreau, que les pompiers et les médecins qui arrivent en urgence sont pris pour cibles, la police demeure discrète, c’est-à-dire absente, « pour ne pas jeter de l'huile sur le feu », sur ordre peut-être... Ca sonne comme « Laissez-les s'entretuer ! De toute façon, ça ne sort pas de la banlieue. Ca fera de la racaille en moins. Et les français verront que ces gens-là ne valent rien. » et c’est peut-être ça, la philosophie du Ministère de l’Intérieur. Ah, s'il s'agissait d'une manif d'étudiants ou si ça débordait sur Neuilly, vous verriez des escouades de CRS fondre en piqué sur ces jeunes casseurs et régler l'affaire en deux coups de taser et de lacrymo (de canon à eau, de flash-balls et de grenades de désencerclement, pour actualiser la liste).

Où étaient passés, le ministre Sarkozy, puis le président Sarkozy, pendant ce temps-là, avec le Kärcher qui devait nettoyer la racaille des banlieues ? Ben oui, il est retourné chez lui s’occuper d’autre chose, par exemple de dégager un avenir radieux aux assurances Malakoff de son frangin Guillaume en continuant de détruire la sécu. Tout ce qu’il pouvait faire contre la délinquance des ghettos de banlieues, c’étaient des discours, comme jadis Bernard Tapie, autre grande gueule, quand il était ministre de la ville. On a bien compris que rétablir l’ordre (ramener la paix !?) dans les banlieues n’est pas une priorité. Le phénomène est si grave, si étendu, qu’on se demande s’il ne faudrait pas y envoyer l’armée ; mais non, ça deviendrait une guerre civile. Peut-être que ça convient très bien comme ça, tous ces gangs, ces trafics, ces jeunes bien colorés, qu’on peut ressortir au moment des élections pour faire peur aux français pur teint. Les banlieues sont ainsi abandonnées à leur sort.

On y trouve beaucoup de parents qui ont perdu leur fierté, qui galèrent pour trouver du boulot, qui se font insulter par leurs enfants, qui ne parviennent pas à les retenir à la maison, et qu’on laisse se débrouiller seuls, en sachant parfaitement que seuls, ils ne peuvent pas s'en tirer. Même dans une famille de catégorie socioprofessionnelle favorisée (cadre ou enseignant), lorsqu’il y a un adolescent difficile ou rebelle, les parents seuls sont bien incapables de rétablir un ordre familial. Alors il y a comme ça des jeunes qui ont renoncé à se faire accepter, aimer, de cette société qui dès leur naissance les a tenus à l’écart ; ils ont choisi l’illégalité, le danger, la loi de la jungle, trouvé des moyens illicites de subsistance, bafouant chaque jour les autorités républicaines, et qui terrorisent leur quartier, détruisent les biens de leurs voisins, tuent leurs ennemis, éliminent tout ce qui risque de nuire à leur système de survie… Vous pensez si le collège unique, ils s'en tapent !

Et notre société fait comme si ça ne la concernait pas vraiment : elle joue l’innocence offusquée, de temps en temps, quand l’atmosphère s’échauffe un peu trop.
Mais à la guerre comme à la guerre ! Le voilà, le devoir d'ingérence : de partout fusent des appels au secours. Dans l’urgence, il ne s'agit pas de punir les parents, mais d'empêcher les enfants de nuire, de les neutraliser et ensuite d’aider les parents. Comment faire ? Démolir ces banlieues, tout de suite, reloger les gens dans des villages, avec une épicerie, un bistrot et du boulot pas loin, des oiseaux tout autour et pas uniquement des voisins au chômage. Je rêve. Non, je déconne. Je ne sais pas ce qu’il faut faire. C’est pour ça que je suis en train d’écrire.

J'ai vu hier soir à la télé des parents d'enfants handicapés intellectuels qui racontaient comment « La-France » les laisse eux aussi se débrouiller comme ils peuvent avec leurs souffrances. Alors il y en a qui trouvent à l'étranger (en Belgique, souvent) un peu plus de structures adaptées, avec en prime davantage de compréhension. Certains, désespérés, au bout du rouleau, perdent les pédales, tuent leur enfant et parfois se tuent après. « Comme ça, le problème est réglé. » disait une dame avec amertume.
Je songeais incidemment aux enfants handicapés de France qui ont pour les aider un auxiliaire de vie scolaire, du mobilier adapté, des outils compensateurs, tout ce luxe qui est  désormais un droit (plus vraiment appliqué aujourd’hui, pour des questions évidemment budgétaires), comparé au dénuement des enfants mutilés de Mumbay qui ne vont pas à l’école parce qu’ils doivent travailler dans la rue pour se nourrir.
Dans cette émission, je voyais aussi des autistes qu'on sollicitait selon une méthode américaine qui consiste à récompenser toute action faite à la demande par un bonbon ou un gâteau. J'ai eu l'impression de voir dresser des chiens. Un peu choquant, mais bon, si on ne sait pas comment faire autrement, et si ça fonctionne, et s'il y a un peu de bonheur à glaner au long du chemin, pourquoi s'en priver. Et puis, à la réflexion, et comme le disait la dame, on fait la même chose avec tout enfant, ça dure seulement moins longtemps.


Cette façon de faire peut passer pour une erreur. Elle n’est en tout cas guère politiquement correcte. Je l’ai pourtant pratiquée, moi aussi, avec succès, la gratification promise à celui qui joue le jeu, qui se soumet à la règle : je donnais des images, je félicitais avec emphase, je flattais, je passais la main dans les cheveux, comme on fait à un bon chien. Il me semblait que les enfants m’en étaient reconnaissants.

dimanche 8 septembre 2019

Même attitude, causes différentes


Je les appellerai les Boris en référence à Boris Vian qui, dans son roman "L'arrache-coeur", a imaginé une mère craignant tellement qu'il arrive quelque chose de préjudiciable à ses enfants qu'elle finit par les enfermer dans une cage capitonnée, ce qui en soi constitue, bien sûr, un préjudice extrêmes.

Boris 1 & Boris 2 sont deux petits garçons qui, à l'école (en petite, puis moyenne section), semblent refuser systématiquement de faire ce que la maîtresse leur demande. Ou alors, ils le font avec une extrême lenteur, et seulement après que la maîtresse les a maintes fois sollicités, souvent même aidés, ou encore après qu'elle s'est fâchée. La plupart du temps, les deux Boris restent sagement là où la maîtresse les a assis, avec le matériel et la tâche à accomplir, les mains posées sur la table, immobiles, leurs grands yeux candides n'exprimant aucune émotion - ils n’ont même pas l'air rebelle ! - attendant avec confiance et patience que sonne l’heure libératrice de la sortie.

Un jour, les deux Boris sont restés pendant la récréation - punis donc -, sommés de finir un simple coloriage : la maîtresse avait craqué. Et ce fut le commencement d’une série de privations de récré. Toutes vaines ! « C'est un peu fort, ça : ce n'est tout de même pas difficile, ce que je leur demande. » se lamentait la maîtresse qui n'arrivait pas à comprendre pourquoi les Boris n’en fichaient pas une rame et n’imaginait plus comment elle pouvait s'y prendre pour qu'ils acquièrent de "l'autonomie dans le travail" (c’est la formule qui était inscrite dans le livret des compétences).
A ce propos, sachez que l'autonomie, dans la langue des pédagogues, ce n'est pas la simple capacité à se débrouiller seul, mais la capacité à respecter seul les règles de l’école, et dans ce cas précis, de faire le travail demandé.

Bon, jusqu'à ce point, les deux Boris ont réagi exactement de la même façon. Mais dès lors que la maîtresse a perdu patience, ils se différencient nettement.

Boris 1 semble craquer : il se met à pleurer ; d'un ton plaintif, il dit "C'est trop difficile" ou "Tu dois m'aider, maîtresse", tandis que lui-même n’esquisse pas le moindre mouvement qui pourrait témoigner d’une certaine bonne volonté. Boris 2, quant à lui, reste impassible, regardant sans ciller la maîtresse en train de devenir toute rouge. Pas un son ne sort de sa bouche ou alors peut-être un "Je sais pas", tout froid et à peine articulé.
La maîtresse insiste, évidemment : elle argumente, elle caresse, elle donne des indices, elle les invite l’un et l’autre à risquer une réponse - allez ! Mais rien n'y fait. C’est à devenir dingue ! Ne souriez pas. De telles situations vous laissent sans arme, avec le terrible sentiment de votre irrémédiable inutilité. Des maîtresses finissent par péter les plombs, perdre tout contrôle ; elles usent de formules assassines, elles torturent l'enfant, dans l’espoir insensé de le ramener à la raison - qu’il se soumette enfin à la logique pédagogique… Aucune chance ! Et là, bien sûr, c'est le carton rouge.

Vers qui donc se tournera cette maîtresse désemparée, mais dotée d'une conscience professionnelle solide qui lui dicte de tout tenter pour que ses deux Boris "entrent dans les apprentissages" ? Vers le ministre qui a promis aux parents électeurs que l’école résoudrait tous leurs problèmes ? Vers l’inspecteur départemental qui n’est là que pour vérifier si la maîtresse applique bien les consignes du ministre ? Vers le conseiller pédagogique qui est occupé à encadrer des formations, à collecter des statistiques, à rédiger des comptes-rendus et se tue à préparer des interventions destinées à justifier auprès de ses collègues les réformes décidées par le ministre ? Ben non, hein ! Vers ses collègues, alors ? Pas davantage, car il est bien difficile d'avouer ses faiblesses et aussi parce qu'il n’y a pas dans les écoles (comme dans les entreprises !) « la culture du travail en équipe ». Si la maîtresse est assez jeune, elle aura peut-être le réflexe de chercher une recette, au hasard, sur Internet. Perte de temps garantie !

Vous l’aurez compris : la maîtresse est « autonome », elle se débrouille, elle est seule. Admettons tout de même qu’humblement elle demande conseil. Que s’entendra-t-elle répondre ? Neuf fois sur dix, on lui dira, comme cela est préconisé par « les instructions officielles », qu'elle devrait donner à cet enfant des travaux adaptés, plus faciles, ou lui présenter ses exercices sous une forme plus ludique, ou reprendre avec lui les leçons de l’année précédente ; on lui fera la réponse technicienne des trucs à essayer, seule face à ses deux Boris récalcitrants, qu’elle répétera jusqu’à la nausée, sans possibilité de sortir de l’ornière de l’illusion pédagogique.

Car dans le cas qui nous occupe, les popotes pédagogiques sont bien vaines. Elles ne peuvent pas fonctionner parce que les seules personnes qui détiennent la solution au problème des deux Boris, ce sont les deux Boris eux-mêmes et leurs parents. Tout se passe dans leur tête : ces enfants arrivent à l'école avec une idée bien précise de ce qu'est la relation aux adultes et de la manière dont leur vie doit s’organiser. Ils veulent naturellement reproduire à l'école le fonctionnement du système familial dont est responsable leur entourage. Le hic, c'est que l’école et la maîtresse ne marchent dans la combine. D’où déconvenue, contrariété, inquiétude… la seule réponse à peu près confortable que les deux Boris ont trouvée est de se poser là, en ne faisant rien.

Mais en quoi diable cette attitude peut-elle les satisfaire ou les rassurer ?

Hypothèse concernant Boris 1
Ne serait-il pas un enfant qui a tellement l'habitude d'être servi et satisfait en tout, qui ne connaît donc ni la difficulté, ni la frustration, qu'il préfère attendre que quelqu'un résolve son problème à sa place, quitte à se faire enguirlander de temps en temps.
Bingo ! La maîtresse et moi discutons à plusieurs reprises et assez longtemps avec son papa et sa maman et lorsque ceux-ci se sentent en confiance, nous apprenons un certain nombre de choses révélatrices du fonctionnement familial, dont les parents eux-mêmes n’avaient pas forcément conscience :

- Les parents de Boris 1, mais aussi sa grand-mère et sa grande demi-soeur, lui évitent soigneusement toute difficulté. Par exemple, on ne lui achète que des chaussures sans lacets, on ne le laisse pas boutonner lui-même ses vêtements, et il a toujours eu des objets adaptés, du genre gobelet avec poignées ou petites roues arrières au vélo.

- A bien des égards, ils le considèrent toujours trop petit, tel un bébé. Ainsi lui trouvent-ils des excuses lorsqu'il ne dit ni bonjour, ni pardon, ni merci ; ils estiment également que la maîtresse demande souvent des choses trop difficiles.

- Ils essaient au maximum de lui éviter les désagréments : ils portent son sac sur le chemin de l’école pour qu’il puisse courir et jouer ; ils n’insistent pas s’il ne veut pas ranger sa chambre ou finir son assiette.

- Ils sont toujours là pour l'aider à réussir coûte que coûte tout ce qu'il entreprend : ils trichent pour le laisser gagner au jeu de dada ; son papa fait semblant de se laisser porter par lui, sa sœur se laisse battre à la course et sa maman lui fait croire qu’il a confectionné un gâteau alors qu’il l’a seulement regardée faire.

- Lorsque, malgré tout ça, Boris 1 essuie un échec, ils s'empressent de le nier ou d'en distraire son attention. De cette façon, s’il pleure parce qu’il ne parvient pas à attraper le ballon, ils diront que les copains sont méchants et ils lui achèteront une glace pour le consoler.

La conséquence de tout ça est que Boris 1 croit vraiment qu'il sait tout et peut tout. Il dit « je suis plus fort que mon papa, c’est moi qui gagne toujours » et croit pareillement être plus fort que la maîtresse.
A ce régime-là, Boris 1 ne peut pas s’imaginer en difficulté. L’écolier qu’il apprend à être n'a eu besoin que de deux ou trois situations qu'il ne parvenait pas à surmonter, ou pensait ne pas être capable de surmonter, pour s’enfermer dans cette attitude qui consiste à attendre obstinément que la maîtresse fasse son travail à sa place et peut-être qu'en prime, elle l’en félicite.
Mais il vient de découvrir l’angoisse de ne pas réussir et cela le paralyse, et il en souffre. Le pauvre enfant n’est pas tiré d’affaire, car à l'école, il en vivra, des situations difficiles, y compris dans ses relations avec les autres enfants qui, eux, ne font pas semblant de perdre. Il est donc aisé de comprendre pourquoi Boris 1 n'est pas non plus très à l'aise avec les autres enfants.

Lorsque la maîtresse et moi rencontrons ses parents, il nous est délicat, et parfois impossible, d'évoquer les motivations qui amènent les adultes de la famille à aplanir toute difficulté sur le chemin de Boris 1. La discussion est longue car on avance à petits pas prudents, mais dès lors que les parents se confient, ils avouent leurs propres angoisses. Pêle-mêle : « Ca va plus vite, c'est mieux fait quand nous faisons les choses à sa place. Ca nous fend le coeur de le voir malheureux. Nous voulons qu'il nous aime. Nous avons besoin de sentir que nous lui sommes utiles. Nous faisons ça pour qu'il ait confiance en lui. » Toutes ces raisons, nous signifions d’abord aux parents que nous les avons entendues et que nous les acceptons, mais il est ensuite indispensable que les parents acceptent à leur tour d’analyser les conséquences pour Boris 1 de ces postures, qu’ils prennent conscience qu’elles l’enferment dans un mode de fonctionnement qui lui est préjudiciable à l’école et que pour l’en libérer, ils doivent modifier leurs façons d’être et de faire.

On peut considérer qu’à cet instant de la rencontre, la maîtresse et moi nous immisçons dans la vie privée de cette famille, que cela n’est pas de notre ressort et ne nous regarde pas. Je dirais que dans la mesure où ce travail nous paraît nécessaire et où la famille est consentante, il serait illogique (et idiot) d’en faire l’économie.
Qui d'autre en effet assumerait cette tâche ? Les membres du RASED et le psychologue scolaire qui ont cette mission délicate du conseil auprès des parents ? Certes, mais ils ne peuvent matériellement s'occuper de tous les enfants d’une circonscription et il y a des souffrances plus grandes et plus urgentes que celle de Boris 1.
Une fois conscients d’avoir besoin d’aide, les parents peuvent aussi consulter un psychologue privé, qu’ils devront payer, mais sans garantie de résultat (j’y reviendrai).
Peu nombreux sont cependant ceux qui acceptent l’intervention d’un professionnel. Ils préfèrent souvent se fier aux conseils de la famille, des copains, de leurs relations, qui en toute bonne foi augmenteront leur angoisse en les culpabilisant ou les apaiseront en minimisant le problème.
Restent les enseignants, à condition qu’ils soient un minimum avertis ou formés, et qu’ils se rendent disponibles, prêts à risquer cette aventure humaine un peu délicate.

A la fin d’une rencontre avec les parents, nous ne nous séparons jamais sans résumer ce qui a été dit, sans tomber d’accord sur un ou plusieurs objectifs simples, sans décider d'une liste, souvent modeste, d’actions concrètes et simples à entreprendre à la maison et à l'école pour que Boris 1 ose enfin se lancer à l'assaut d'une difficulté : le laisser ouvrir seul son yaourt, lui donner la responsabilité de partager le gâteau, lui faire éprouver le sentiment de la défaite dans le jeu, le féliciter seulement à bon escient, et cetera.
Prenant conscience que ce que nous réussissons sans avoir à surmonter une difficulté ne nous apprend rien, les parents sauront peu à peu adapter leur manière d’agir avec leur enfant et lui faire acquérir des attitudes et des comportements transposables à l’école.


Hypothèse concernant Boris 2
Et si, contrairement à Boris 1, celui-ci était carrément un rebelle, un de ces enfants qui ne supportent pas la contrariété, un enfant-roi qui chez lui mène les adultes par le bout du nez, décide de tout, gère la maisonnée, fait ce qu'il veut quand il le veut.

Alors quand, sans bouger ni rien dire, Boris 2 fixe la maîtresse d'un regard qui oscille entre fausse candeur et impertinence, ne serait-ce pas qu'en son for intérieur il résiste : "Tu peux toujours courir pour que je t’obéisse. Moi, personne ne me donne d'ordre. Alors, tu peux t’énerver, tu n’obtiendras rien. C’est que j'ai de l'endurance : à la maison, je finis toujours par gagner."

Il arrive quelquefois qu'un enfant tel que Boris 2 ose un cinglant "J'ai pas envie", expression sincère et révélatrice d’un sentiment de puissance qu'il espère encore exercer sur les adultes de l'école. Mais Boris 2 n’est pas masochiste : s'il ne fait pas de colère avec la maîtresse, comme il en fait avec sa maman, c'est parce qu'il a bien vu comment s'est fait reprendre le petit Lulu, celui qui a déchiré sa feuille et qui a donné un coup de pied à la maîtresse. Lui, Boris 2, ne va pas se faire gronder, ni punir, de cette façon humiliante. Non ! Il fera de la résistance passive : s'enfermer dans la non communication afin de ne pas donner prise ; c’est sans risque... pour son ego.

Vous avez deviné qu'avec Boris 2, c'est un combat qui s'engage, un combat nécessaire, pour son bien, au-delà de sa réussite à l’école, car il est ici question de bonheur. Les enfants-rois souffrent en effet, presque autant que les parents qu'ils tyrannisent. Ils souffrent d’être en conflit constamment et de devoir tenir un rang dont ils n’ont en fait pas les moyens, trop faibles, dépendants, pas matures. Les uns et les autres n'y peuvent rien ; ils ne sont ni coupables, ni entièrement responsables, de la situation dans laquelle ils se sont mis. Il y a là comme une fatalité, qui remonte assurément aux générations antérieures, en raison d’histoires personnelles, de pressions culturelles et sociales, dont on ne se dépatouille jamais sans le secours de tiers.

Une fois connues et reconnues les raisons de l’attitude négative de Boris 2 à l’école, le mode de relation au sein de sa famille ne peut pas échapper à une remise en cause. La tâche peut s’avérer difficile, il y faut du courage et de la persévérance, aux enseignants qui abordent le sujet comme aux parents qui acceptent d'en parler. Mais si parents et enseignants dès le départ  entretiennent une relation de confiance, les préventions tombent et le dialogue s’installe aisément dans la sérénité.
Cette confiance s’instaure à l’initiative de l’enseignant ; c’est à lui, détenteur d’un certain pouvoir au sein de l’école, de descendre de son estrade et de faire le premier pas vers les familles. Cette confiance repose sur son professionnalisme, sa sincérité, son humilité, ses capacités d’écoute et d’empathie. A aucun moment, il ne juge, ni n’oblige, il propose simplement les solutions qui lui paraissent adaptées au cas particulier de chaque enfant.

Pistes de réflexion pour la prochaine fois :
- Comment des parents se retrouvent-ils un beau jour avec un enfant-roi ?

- Faut-il un enseignement spécialisé pour les enfants-rois ?