(un cas d'école)
Revenons
à l'école primaire et à l'éducation. Mon objectif est toujours le même : à
vous, parents et enseignants, je veux démontrer que la réussite scolaire d'un enfant se
peut se construire qu’au fil de votre dialogue, à la condition qu'il soit
sincère, placé sous le signe de la confiance et de l'empathie. J’ai vécu dans
l'exercice de ma profession de maître d'école des situations souvent
difficiles, autant pour les familles que pour moi-même. Dans ce contexte, il
m’a fallu parfois faire mon examen de conscience et me rappeler à mon devoir d’humilité ;
je n’y ai pas toujours réussi. Voici le récit d’un de ces moments.
Il
était une fois une maman à qui je disais, en début d'année, cette toute petite
chose : que son petit garçon, entre autres difficultés, ne parvenait pas à
mémoriser l'écriture de son prénom et qu'il était temps de s'en inquiéter car,
en grande section d'école maternelle, tous les enfants y parviennent
normalement sans problème. Et la maman me répondait : « Pourtant, à la
maison, il sait... »
Nos
deux affirmations semblent se contredire, n’est-ce pas ? Est-ce parce que
l'un de nous deux ment ?
Je
sais, moi, que je ne mens pas, et que ce que je dis là, je l'ai constaté maintes fois et même vérifié juste avant d'en faire part à la maman, histoire d’en être
parfaitement sûr. Mais je ne crois pas non plus que la maman me mente, car il
est possible qu'à la maison, pour diverses raisons que je ne connais pas
encore, l'enfant soit vraiment capable de faire une chose qu'il ne sait pas
faire à l'école, sinon, ce serait évidemment la maman qui mentirait, et à soi-même en premier lieu. Quoi qu'il en soit, dans ce dernier cas, jamais je ne lui en ferai part. Je la laisserai parvenir à sa propre conclusion, qu'elle l'exprime ou pas.
Que
faire ? Puisque je viens de soulever un problème, il nous faut le résoudre. Ne
jamais reculer, c'est la règle. La première et indispensable chose à faire est
de nous trouver une vérité commune, sans quoi nous n’aurons aucune chance de
parvenir à aider cet enfant à réussir à l’école.
Sans
attendre, je demande donc à l'enfant d'écrire son prénom en lettres minuscules
d'imprimerie. Il jette un coup d’œil interrogateur à sa maman ; celle-ci baisse
un peu la tête en signe d’acquiescement et le voilà qui se met à écrire. Mais
bientôt, il s'interrompt, hésite, se rembrunit. Alors la maman vient à son
secours : « Voyons, tu le sais bien, ce qui vient après. A la maison,
tu sais l’écrire, ton prénom. » Et comme l'enfant n’ose encore, elle finit
par lui donner cette fameuse lettre qu'il connaît mais qu’il a oubliée.
L'enfant continue et puis, sans s’en rendre compte, il inverse les deux dernières
lettres. « C'est normal, parce qu'à la maison, je ne lui ai pas appris les
minuscules. » Explique la maman.
Evidemment,
cela n’a rien à voir, mais en deux phrases, cette maman vient de disqualifier,
aux yeux de son enfant, le maître et son enseignement. Elle affirme en effet,
contre l'avis du maître, que l'enfant sait ce que manifestement, à cet
instant-là, il ne sait pas. Elle oppose aussi implicitement l'enseignement de
l'école, qui n'aurait pas eu d'effet, à celui de la maison qui aurait été
efficace. De cette manière, il arrive souvent que l'enfant donne davantage de crédit
à ce qu'il a appris à la maison et considère par conséquent qu'il n'a plus
besoin d'apprendre à l'école. Il n'entend donc plus la parole du maître ; et
ça peut être une cause de difficulté scolaire.
Mais ce
n'est pas volontaire, bien sûr. C'est seulement parce que les parents veulent
que leur enfant réussisse à l'école qu'ils lui apprennent, par anticipation,
tout un tas de choses à la maison. Et c'est très bien, c'est ce qu'il faut
faire. (Les enseignants ne s’en privent pas avec leurs propres enfants, à l’excès
parfois.)
Je vous
donne un exemple : les parents savent lire, ils sont donc capables de
montrer à leur enfant comment eux-mêmes font pour comprendre ces petits
gribouillis des livres qui renferment des histoires. Pas besoin pour ça de
sortir de master, bac + 5, il suffit d’expliquer à l'enfant : « Tu vois,
là, sur ton bonnet, j'ai brodé ton prénom pour que la maîtresse sache à qui il
appartient, si jamais tu le perdais. Les signes que tu vois sont des lettres.
Pour chaque lettre, on dit un son. Pour lire ton prénom, la maîtresse dit comme
ça, dans sa tête : M, A, KS, I, M, E. Maxime. » Et hop, le tour est joué. C’est
une façon de procéder parmi d’autres. On lit des histoires dans un livre et on répond simplement aux questions. Il suffit d'un peu de logique et de
patience pour emmener avec soi un enfant sur les chemins de la lecture.
Où est
le mal ? Où est le danger de se tromper ? Il n’y en a pas. Les parents ne
doivent pas avoir peur d’apprendre à lire à leurs enfants et les enseignants
doivent l’accepter et ne pas avoir le sentiment d’abandonner une partie de
leurs prérogatives ; ils ont tellement d’autres choses à enseigner ! Au moment
où l'enfant est disponible pour un apprentissage, il serait idiot et néfaste de le lui refuser ?
La
maman et moi allons donc chercher ensemble une vérité commune. Parce que j’ai
un regard neutre, qui n’est pas biaisé par les œillères de l’amour, cette
vérité sera certainement plus proche de la mienne que de la sienne. Pour amener la
maman à entendre ma version, sans qu’elle se sente pour autant mise en examen,
il me faut user de diplomatie, et plus encore, de délicatesse :
« A
l'école, nous avons appris à reconnaître et à écrire les prénoms en lettres
minuscules. C’est pour cela que je m’étonne que Maxime n’y arrive pas encore.
Mais, en vérité, j’ai mon idée sur la question. Voyez-vous, j'ai remarqué une
chose : c'est que votre petit garçon est très malin ; il comprend par
exemple très vite comment s’épargner de la peine. Alors, peut-être à la maison
avez-vous quelque part un modèle sur lequel il peut copier sans que vous vous
en aperceviez ? Je le soupçonne même d’être assez habile pour se faire
aider sans que la personne qui s’occupe de lui s’en rende compte. Alors, je me
dis que si, tout en faisant illusion dans certaines circonstances, il ne sait
toujours pas écrire son prénom sans modèle, c’est qu’il a trouvé moyen de
s’économiser l’effort de le mémoriser… » Et cetera.
Et
ainsi de questionnements en réponses, entraînant des ajustements, des
concessions, des aveux, nous en arrivons au test qui va révéler à la maman notre
vérité commune : quand je demande à Maxime d’écrire son prénom en
majuscules, il ne le sait pas non plus. Cette fois, la maman et moi tombons d’accord
pour dire que Maxime ne sait pas écrire son prénom de mémoire mais qu’il est
assez intelligent pour y parvenir par toutes sortes d’autres moyens. Et je peux
dès lors, sans crainte d’être incompris, dire à Maxime ce que nous attendons de
lui : « A partir d’aujourd’hui, ta maman et moi, nous ne t'aiderons
plus. Tu te débrouilleras tout seul. Parce que nous savons bien que tu es un
petit garçon intelligent et que tu es parfaitement capable de retenir les lettres
de ton prénom dans l'ordre. Nous comptons sur toi. »
Passée
cette première étape, je peux maintenant avouer à la maman que Maxime a pas mal
d’autres difficultés et que la raison profonde de ces difficultés est peut-être
simplement qu'il croit ne plus avoir rien à apprendre à l'école et qu’il n'est
donc pas intéressé par ce qu'on y fait. Je peux aussi lui demander d’être plus
attentive à valoriser les apprentissages scolaires, et de veiller, lorsqu’elle
veut apprendre quelque chose à son enfant, à ne pas lui mâcher le travail, mais
au contraire à le laisser se coltiner la difficulté, à lui permettre de prendre
la mesure vraie de ses connaissances et savoir-faire.
Avant que nous nous séparions, la
maman, un peu inquiète, me demande :
« Cette histoire des lettres
inversées... vous ne pensez pas qu'il pourrait être… dyslexique ?
Je lui souris comme à quelqu'un
dont on se moque gentiment d'avoir dit une bêtise :
- Dyslexique ? Mais non, pas
le moins du monde, madame. Vous allez voir, maintenant qu’il nous a entendus,
qu’il sait que nous sommes d’accord, ça va s'arranger très vite. »
Le lendemain même, Maxime écrivait
son prénom sans modèle et sans erreur, en majuscules et en minuscules. Pour ses
autres difficultés, il a fallu attendre encore un peu. Normal, quand on manque
d’entraînement, on n’escalade pas une montagne en une seule fois, on fait des
pauses pour reprendre haleine.
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