17 juin. Journal de 7 heures 30 de France Inter :
« C’est le bac aujourd’hui. Menace de grève de la surveillance contre la
réforme qui simplifiera l’épreuve au profit du contrôle continu. Pour en
parler, tout à l’heure, nous recevons Jean-Michel Blanquer, le ministre de
l’Education nationale. » Comme toujours sur cette chaîne de propagande, on
présente la grève de façon à ce qu’elle soit incompréhensible à ceux qui ne
sont pas au courant du projet de loi et on ne donne la parole qu’au
gouvernement.
Bon. J’y suis allé un peu fort
pour le premier article. Donc, autocritique obligée.
Comme tout le monde, j’ai
participé à l’avènement de ce que je dénonce, en tant que parent et en tant
qu’enseignant, comme tout le monde, en toute bonne foi, en essayant de bien
faire. Même après qu’on a pris conscience des problèmes, il est difficile en
effet de se dégager de la pensée dominante, dans laquelle on baigne depuis
toujours, qui nous a formatés, puis de ramer à contre-courant, car il faut pour
cela de la constance dans l’effort, affronter les bien-pensants, braver la
hiérarchie, prendre des risques, renoncer à un certain confort...
Je ne prétends donc faire le
procès de personne, sinon collectivement, chaque génération concourant à forger
le monde qu’elle laissera à ses enfants. Et l’école que j’ai laissée en 2010 à
mes petites-filles était dans un piètre état. Pas de mon fait, certes, mais
j’aurais pu résister davantage et le faire plus tôt.
Voici, en quelques mots, comment
l'Ecole de la République - formule consacrée, désormais automatique, dont on
aimerait bien savoir ce qu’elle signifie exactement - a été d’un même élan
discréditée auprès du public, dévoyée dans ses missions, privée de ses moyens,
démolie. Sans doute est-ce pour ces raisons qu’elle va s’appeler bientôt
l’Ecole de la Confiance et qu’elle fut un temps nommée l’Ecole pour Tous... preuves
qu’elle n’était pas pour tous et qu’elle n’inspire plus confiance. Comme si le
nom, telle une incantation vaudou, pouvait la guérir de ces maux que lui ont
infligés et lui infligeront encore les mêmes ministres et chercheurs en
pédagogie qui la rebaptisent !
Aujourd’hui, pour justifier
quelque réforme que ce soit, les mots qu’emploient les ministres, relayés à
l’envi par les médias, sont particulièrement trompeurs et ce, à dessein, parce
que l’objectif n’est plus d’améliorer le fonctionnement de l’école mais au
contraire de le rendre inefficace. Nous y reviendrons souvent. Demandez-vous
donc toujours s’il ne faudrait pas comprendre le contraire de ce qu’on vous raconte.
Autrefois, on était plus direct, un
peu plus franc du collier. Ainsi, René Monory, célèbre garagiste devenu
ministre de l’Educ. Nat. sous la cohabitation Chirac / Mitterrand, affirmait,
péremptoire, pour justifier des compressions de personnel, qu’on apprend mieux dans
une classe de trente élèves que dans une classe de quinze. Sans rire. Bien pauvres
enfants que ceux qui n’ont qu’un précepteur, n’est-ce pas ?
Depuis un certain Claude Allègre, imité
puis dépassé par Luc Ferry, Xavier Darcos et Luc Châtel, avec en bout de chaîne
les inspecteurs départementaux qui se prennent maintenant pour des DRH, et
parfois même jusqu’au dernier conseiller pédagogique, le MEN (ministère de
l'Education Nationale) tout entier n'a cessé de taper sur les enseignants, non
seulement dans sa communication interne, mais aussi de manière officielle, en
s’adressant à « La-France » par le canal du poste de télé,
merveilleuse machine à rumeurs, entre deux émissions de propagande. Les
successeurs se sont montrés moins agressifs en paroles, mais la casse a
continué. A cause de cela, j’ai regretté parfois d'avoir demandé ma retraite :
je me faisais un peu l’impression du rat quittant le navire, laissant le jeune
équipage se dépatouiller avec cette école dévalorisée, qui avait perdu le
restant d’âme qu’elle entretenait encore quand j’ai commencé à travailler.
Mon premier ministre de
l'Education Nationale, quand j’étais jeune instit’, a été Joseph Fontanet. Je
me revois en mars 1973, avenue Ney à Metz, défilant avec quelques milliers d’étudiants
et lycéens, scandant "Debré (ou Fontanet), salaud, le peuple aura ta peau !".
Ces deux-là avaient déjà concocté un bon plan pour virer des facultés les boursiers
suspectés de glander : l'un voulait leur supprimer le sursis au service
national militaire et l'autre avait inventé le DEUG, deux ans de plus d’études
généralistes. Avec l’interruption forcée pour faire le bidasse pendant un an et
au retour la perspective de deux années avant de commencer une réelle
qualification, il était couru d’avance que quiconque n'avait pas les moyens
pécuniaires pour tenir, finissait par renoncer et se chercher un job à l'usine.
En ce temps-là, il y en avait encore, des usines.
Le principe de la réforme était évidemment
et tout simplement de limiter le nombre d’étudiants, car ça coûte cher ; déjà
le souci de l’économie ! Le même argument a resservi avec bonheur puisqu’une
majorité de Français opina du chef en réponse à la question du président
Sarkozy : « Franchement, qui voudrait entretenir des fainéants, hein
? » J’aurais voulu lui répondre : « Tous les étudiants qui ratent
leur examen ne sont pas des fainéants. Et même si certains abandonnent après un
échec, souvent parce qu’ils n’ont plus les moyens de survivre loin de leur
famille, le supplément de culture acquis justifie amplement cette année que
vous diriez perdue. Mais peut-être considérez-vous la culture comme inutile aux
enfants du peuple ? »
« Depuis quinze ans donc [au moment où j’écrivais ces lignes],
nous assistons au dénigrement systématique de l'école et des enseignants, par
les ministres en premier lieu, quelle que soit leur appartenance politique.
Toujours la même technique. Ils disent : « Les enseignants sont des gens
sérieux qui font bien leur travail. » puis ajoutent ou font dire par des
collaborateurs ou des journalistes que néanmoins
- chez les enseignants il y a davantage
d’absentéisme que dans les autres catégories professionnelles,
- que les enseignants font grève sans
raison car ils sont une catégorie de privilégiés,
- que les enseignants ne sont pas
honnêtes car manipulés par les syndicats,
- que l’école privée a de bien meilleurs
résultats que l'école publique,
- que les enseignants devraient
être payés au mérite afin qu’ils soient encouragés à travailler,
- que les enfants apprennent autant
par la télévision que par l'école,
- que les enseignants utilisent de
mauvaises méthodes (des méthodes trop évidentes et trop simples, peut-être)
- et même que les enseignants sont
mal formés (à qui la faute ?)
Tout cela est propagande destinée
au public des parents d'élèves, à qui le gouvernement fait croire que son souci
est la réussite scolaire des enfants et qu'il va mettre un bon coup de pied
dans cette fourmilière des profs gauchistes qui sont la cause de tout ce
malheur qui fait que votre petit ne peut pas apprendre à lire correctement et
se retrouve à la sortie de l’école sans la moindre compétence utile.
Cette stratégie qui semble électoraliste
est en réalité une entreprise délibérée de déconstruction de cette école qui, par
le travail de ses enseignants, revendiquait encore sincèrement, fièrement, la
mission d’instruire et de cultiver les enfants de la nation qui ne naissent pas
avec une cuiller en argent dans la bouche. De nos dirigeants, la bouche est
pleine d’une « école républicaine » qui ne veut plus rien dire puisque
par leurs actes, ils ajoutent au désastre.
C’est en effet à la vitesse de la
lumière que se sont enchaînés les grands plans de réforme de l'école avec en
ligne de mire le chamboulement des programmes. A peine sortis des cerveaux
surchauffés des chercheurs en pédagogie - les mêmes qu'il y a 20, 30 ou 40 ans,
et qui se contredisent aujourd'hui (1) - et pas encore assimilés par les
enseignants, voilà les programmes déjà caducs, les réformes réformées. L’adaptation
des rythmes scolaires au rythme des enfants ? Un serpent de mer dont on
parle tous les dix ans ! La Charte pour l'Ecole du XXIème siècle ? Passée
à la trappe ! Les piliers du Socle Commun ? Dilués, noyés, dans les programmes
bordéliques de 2008. La semaine de quatre jours et l'aide personnalisée ? Copie
déjà à revoir. Mastérisation des professeurs des écoles ? Bravo ! Ils
seront mieux payés mais certainement pas mieux formés ! Tout est du même
tonneau.
Plus grave encore que cette
confusion, que cette lamentable gabegie, sont les conséquences pour les élèves
d’un activisme politique acharné contre l’école, qui avance masqué derrière un
double langage : d’abord, on clame que l’école est en danger ;
ensuite, sous prétexte de la sauver, on la massacre. Car voici ce qui s’est réellement
passé :
- réduction de trois heures de la
semaine de classe, donc moins de temps pour enseigner
- suppression de postes
d'enseignants, donc plus d'élèves dans les classes et moins de temps à
consacrer à chacun
- diminution des crédits, donc
moins d'actions innovantes
- suppression des psychologues
scolaires et des enseignants spécialisés, donc moins d'aide particulière
- allègement des programmes
fondamentaux, introduction de matières qui relèvent de l'éducation parentale (et
non de l'instruction publique), et toujours plus de sport ! donc moins de temps
pour lire, écrire, calculer, raisonner, se cultiver
- baisse continuelle du niveau
d'exigence, avec pour conséquence que seuls s’en sortent ceux dont les parents
sont avertis et exigeants (2)
Etcetera.
Dans ce joyeux foutoir, les
enseignants qui ne sont pas démoralisés ont bien du mérite. Ils continuent en
râlant de faire ce qu'ils peuvent mais leur parole, à l'instar de leur
expérience, n'a aucune valeur, aucune oreille auprès de la toute puissante
machine hiérarchique. Comme c'est néanmoins toujours à eux d’expérimenter les
moyens pratiques de mettre en oeuvre les "instructions officielles", sous
prétexte d’une liberté pédagogique statutaire qu’on leur conteste pourtant, les
pauvres ont quasiment toujours un train de retard. Les inspecteurs de l'Education
Nationale sont là pour le leur rappeler : les enseignants sont des nuls, des
paresseux et des tricheurs. Non, je n’exagère pas, je l’ai suffisamment constaté ;
un IEN (inspecteur, inspectrice de l’EN) qui n’affiche pas son mépris pour les
enseignants est une exception. (3)
Le résultat de tout ça est
identique au résultat de l’hyper mondialisation libérale : quarante ans d'une
croissance misérable avec paupérisation des plus pauvres et enrichissement des
plus riches, et au bout du compte, des solutions à une prétendue crise qui vont
mettre par terre tout le progrès véritable, celui qui était de l’ordre de
l’humain. Ca veut dire que tous ceux qui n'ont pour s’instruire et se cultiver que
les moyens de l'école gratuite n'auront plus jamais les mêmes chances que ceux
qui peuvent soutenir financièrement leurs rejetons jusqu'à pas d’âge. L’ouverture
de Sciences-po et de l'ENA aux enfants des cités n'est que de la poudre aux
yeux, une pub bien clinquante qui rejette dans l’oubli la multitude de ceux qui
resteront sur le carreau.
Comment s’y prendre alors, pour
redresser la barre et faire de l’Ecole de la République une école du peuple qui
fasse réussir les enfants du peuple ? Je vais vous le dire.
NOTES
(1) J'ai connu les maths modernes
et la lecture globale, et tout n’était pas mauvais là-dedans, mais on a voulu
les imposer sans discussion. Si, au contraire, la parole des vieux instit’s
avait eu de l'importance, si l'expérience acquise des enseignants avait été
reconnue, j'aurais pu m'éviter de tâtonner tout seul dans mon coin, et surtout,
on aurait expérimenté les méthodes nouvelles ensemble, à notre rythme, on les
aurait comparées au anciennes et de cette confrontation, on aurait pu tirer le
meilleur. Depuis, on a fait le yoyo, pour en arriver au même point qu’il y a un
demi-siècle, si ce n’est pire. Je suis parti avec mes presque quarante années
d'expérience et personne jamais n'en profitera. Triste constat : la pédagogie, ce
n’est pas le prof’ qui l’invente au contact de la réalité de sa classe, c’est
le chercheur dans son laboratoire qui travaille sur des enfants virtuels pour
essayer de les adapter aux exigences comptables et politiques du gouvernement.
(2) L'orthographe ne compte plus,
la grammaire s'apprend au petit bonheur, les rédactions sont remplacées par des
exercices à trous, la photocopie a remplacé la copie manuelle, les contrôles de
connaissances se font par QCM (Quand
la Chance s’y Met), la division et la décimale ne s'abordent qu'à la fin des
études, le langage de la rue est désormais celui de l'école, les enseignants
eux-mêmes parlant mal et truffant leurs écrits de... disons, des coquilles,
pour être gentil. Pendant ce temps, les bourgeois envoient leurs gosses en
pension, dans les boîtes privées où l’on apprend mieux. La « France d’en
bas », quant à elle, n’a peut-être que ce qu’elle mérite ?
(3) Parmi ces IEN, il y avait surtout d'anciens
collègues instituteurs. Pas forcément des foudres, à ce que j’ai entendu dire !
Enseigner et inspecter sont évidemment deux choses très différentes. Dans les
formations d’inspecteurs, on leur bourre bien le mou et une fois en poste, à
part quelques-uns, ils se prennent pour des caïds et n'ont qu'une façon de
gérer leur relation avec le corps enseignant : faire péter leurs galons, étouffer
toute velléité de contestation, mettre bas les profs, les traiter comme des
enfants, avec une prédilection pour la démolition des plus faibles que j’ai
mainte fois constatée. Minable. »
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