samedi 22 juin 2019

La réussite scolaire pour tous, promesse non tenue (1)

Texte de 2010. Mes annotations de ce jour sont en italique.

« Je me suis vanté de savoir comment faire réussir tous les élèves. Chers parents, chers collègues, le moment est venu de vous en dévoiler la recette, mais ça va prendre du temps parce qu'il me faut commencer par les prémisses. Ce que j’en dirai à la fin n’est ni plus, ni moins qu’un préalable, un passage obligé en dehors duquel il n'est point de salut, même si vous y mettez tout votre cœur et que les dieux de la pédagogie sont avec vous.

Mais d’abord, rappelez-vous ce qu'ils ont dit !

La charte pour l'école du XXIème siècle, ça se passait sous Claude Allègre, c'était l'aboutissement d'une nouvelle pensée politique de l'éducation, commencée juste après l'élection de Mitterrand. On devait finir par mettre l'enfant au coeur du système éducatif et on améliorerait ainsi l’efficacité de l'école, et plus un élève ne quitterait l'école à 16 ans sans savoir bien lire et bien calculer, avec en prime au moins un niveau d'études validé, qui serait donc le brevet. Une excellente idée ; ça partait du cœur. Ce dogme de l'enfant au centre du système, soudain tombé du ciel, semblait bien vouloir prophétiser la fin prochaine de la recherche pédagogique. Comme d’autres ont, avec la chute du mur, célébré la fin de l’histoire ! Toujours un peu mauvais esprit, je me suis dit : « Et avant, alors, il était où l'enfant ? A côté, au fond, en surface, en dehors du système ? N'a-t-il pas toujours été au centre des préoccupations des enseignants ? »

Il fallait donc comme d’habitude comprendre le contraire de ce qu’on nous disait : en vérité, l’enfant ne serait plus au centre du système. Mais quoi alors ? Eh bien, l’école, voyons, c’est l’école elle-même en tant qu’appareil d’état qui allait prendre toute la place. Les résultats de l’école allaient en effet être examinés à la loupe, évalués à tous les niveaux, sous tous les angles, et on allait voir ce qu’on allait voir ; et on a vu une usine à gaz administrative, une mise sous tutelle sans précédente des enseignants, un grand chambardement pour un résultat pas simplement nul, mais carrément négatif. Désastreux !

N’est-il pas intéressant de constater que, du statut d'être humain inachevé (au Moyen-âge) et après avoir dû attendre l'âge de sept ans pour être considéré comme doué de raison (début du XXème siècle), celui de vingt-et-un pour pouvoir voter (jusqu’à Giscard), après avoir été dressé, redressé, battu, sous tutelle depuis des siècles et des siècles, l'enfant accède aujourd’hui au statut d’espèce protégée, au même titre que la femme - droits de la femme, droits de l’enfant, même combat - ?
Il nous semble ainsi que l’enfant s’est émancipé au point qu’à peine balbutiant, il se retrouve au centre du monde, à exercer un pouvoir sur les adultes qui l’entourent - un pouvoir exorbitant parfois - ; mais ce n’est que l’effet visible d’une propagande intensive de la pub, des médias, des penseurs du libéralisme, qui vise en réalité à en faire un consommateur aux réflexes pavloviens, formé pour adhérer à cette société qu’on peut désormais qualifier de société du gaspillage et du mensonge (nous verrons cela dans un autre épisode).

L'institution Ecole n’a pas échappé à ces turbulences, qui a peu à peu abandonné la plupart des principes qui faisaient peu ou prou, avec plus ou moins de bonheur, notre contrat social.
Car voyez ce qu’en réalité ils ont fait !

La Charte pour l'Ecole du XXIème siècle, lancée comme une fusée, a foiré. En cause : la précipitation, la force d’inertie du corps enseignant, que sais-je encore... Seul le ministre de l’EN ne se remet pas en question. Comme Jean-Michel Blanquer ne se remettra pas en question, qui était déjà dans le coup sous d’autres présidences et pour d’autres réformes qui toutes ont foiré. A savoir que les résultats sont toujours aussi mauvais.

En 1981, pour la première (et la dernière) fois, on demandait aux instituteurs leur avis sur une réforme projetée de nouveaux programmes. J’étais encore jeune, fougueux, de peu d’expérience : j’acquiesçai, circonspect, mais j’acquiesçai tout de même. En face, quelques vieux instit’s faisaient figure de dinosaures par principe réticents au changement. J’ai cependant l'impression, rétrospectivement, que ce qui est sorti de nos réunions de concertation était déjà dans les cartons, que j’ai donné mon consentement à des changements qui n'étaient pas tous utiles, ni pertinents, que la voix sage de l’expérience, celle des dinosaures, n’a pas été entendue. Depuis 1970, l’année de mon premier stage, je n'ai d’ailleurs jamais vu le moindre changement impulsé par la base ; par les syndicats, peut-être, mais comme ils n’ont jamais été bien virulents à l’égard du pouvoir… Eh oui, dans l'Education Nationale, comme à l’armée, tout vient toujours d'en haut, des chefs politiques, sous couvert de soi-disant experts, quel que soit leur degré d’incompétence. Se méfier des experts, car ne sont bombardés tels que les bons serviteurs de qui les emploie !

1995, 2002, 2008, allez hop ! trois chambardements de programmes, quasiment coup sur coup, et je vous épargne les multiples petits aménagements qui avaient cours à chaque changement de ministre ! « Il faut bien qu’ils laissent leur marque » disions-nous en rigolant… jaune. Vu de l'intérieur, du point de vue des instit’s, les programmes et l’organigramme de l’école ont fini par ressembler à un brouillon de feuilles volantes raturées, fléchées de partout, avec des retraits, des ajouts, des changements de classification, des contradictions, un tas de modifications, certaines mineures, inutiles, formelles et sans aucune incidence sur les résultats des élèves ou de l'école.
Les statistiques nationales et le mauvais classement PISA de l’école française n’en sont-ils pas la preuve ?

Exemple de l’évaluation.

Autrefois, on donnait une dictée, une rédaction, un problème, on les notait sur dix ou sur vingt et l’élève savait s’il maîtrisait ou pas l’orthographe, la syntaxe ou le raisonnement mathématique. Mais c’était sans doute trop simple, pas assez précis, et surtout, c’était normatif, c’est-à-dire que ça disait à l’élève ce qu’il devait savoir et s’il le savait ou pas. Rendez-vous compte ! Une horreur !
Oui, normatif est un gros mot ! La bonne évaluation est formative ; mais c’est quand même pour savoir si l’élève maîtrise ou pas la compétence... Il fallait donc enrober, faire des phrases pour arriver au même résultat. Il fallait en outre éviter de dire à l’élève qu’il ne savait pas. On a été sommé de faire dans le positif. C’est comme ça qu’on a introduit la notation au moyen de lettres au lieu de chiffres - méthode plus douce, car ainsi tout était « en voie d’acquisition ». Plus question des cinq fautes éliminatoires que ma génération a connues au certificat d’études !
Avant la réforme de la notation, c’est bien connu, les enseignants étaient brutaux avec leurs élèves. Mais après, ils ont été encouragés à les entretenir dans l’illusion du savoir. La vie active se chargerait de leur ouvrir les yeux.

Une nouvelle mode de l’évaluation venait de naître et on a, dans le même temps, évalué collectivement, et de plus en plus souvent, les élèves, les classes, les écoles, au niveau national, à des fins statistiques. Et de cette manière, en plus de l’évaluation pédagogique individuelle par les inspecteurs, on a évalué le corps enseignant dans son ensemble. Les seuls qui n’ont jamais été évalués, ce sont les ministres et les experts.
Toute cette évaluationnite a fini par manger beaucoup de temps et coûter beaucoup d’énergie. Au point qu’on pouvait se demander quand on allait pouvoir commencer à enseigner…

L’école maternelle n’a pas été épargnée. Les injonctions à évaluer se sont faites de plus en plus pressantes. Et je suis tombé dans le panneau : j’ai cru que c’était bon. Avec frénésie, on a commencé à tout évaluer et on s’est bientôt retrouvé dans chaque école avec des livrets pleins d’innombrables compétences hyper pointues à évaluer trois fois pas an, de véritables usines à gaz, impossibles à mettre en œuvre sans rogner sur le temps des apprentissages. On parlait de culture de l'évaluation, ça venait tout droit de chez les Ricains, ça sentait bon sa culture d'entreprise, et nos chefs nous ont fait honte de ne pas l’avoir, avec nos ridicules vieux carnets de notes de 15 matières notées sur 10. Ils ont cru qu’en évaluant à tour de bras on allait devenir rentables.

En même temps, des parents se rebiffaient, commençaient à carrément refuser l'évaluation : pas de notes, pas de jugement, pas de stylo rouge... Bon, tout allait dans le même sens. Comment résister ?

Exemple du langage professionnel.

Dans le même élan, nos experts nous refondaient le langage de la pédagogie. De mémoire de dinosaure, jamais on n'avait connu un tel foisonnement de néologismes, de sigles, de reformulations de pratiques pourtant fort anciennes. Tout n'était pas vain, certes, mais franchement, ils nous ont gavés, saoulés avec leur jargon. A marche forcée ! Souvent il m'est arrivé d'attraper le train en marche ou d’avoir l’air de débarquer de la planète Mars, face à de jeunes collègues frais émoulus du déjà défunt IUFM qui, eux, étaient forcément au fait des derniers bricolages de nos chercheurs (1). Je n’avais tout simplement pas le temps de lire toutes les nouveautés qui sortaient à un rythme infernal, alors les parents, vous pensez, qu'est-ce qu'ils pouvaient bien y piger, eux, à la pédagogie, hein ?
A la fin, tout ce baratin prenait le pas sur le contenu. Alors que n’importe quel adulte lecteur, un papy par exemple, est capable d’apprendre à un enfant à lire, en lui montrant et en lui expliquant simplement ce qu’il fait lui-même, nous, instit’s, nous gargarisions de théories et d’un langage savant, que je me suis empressé d’oublier avant même que j’ai été en retraite.

Exemple du temps scolaire.

Depuis Mitterrand, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de réduire le temps hebdomadaire de présence des enseignants face aux élèves, c’est-à-dire le temps d'enseignement - ce qui revient à diminuer le temps d’apprentissage des élèves -, en supprimant d'abord une heure, puis un samedi matin sur trois, puis tous les samedis, sous prétexte de permettre aux instit’s de faire ce qu’ils faisaient de toute façon déjà avant, sur leur temps libre, en dehors de l’école, à savoir se concerter entre collègues et assister à des conférences pédagogiques, le travail de préparation de la classe demeurant cependant à l’appréciation de chacun. Ce temps-là désormais institué, on a commencé dans les écoles à compter son temps, à s’appliquer surtout à ne pas en faire plus que ce que disait le règlement et le résultat, c’est qu’on en a fait moins qu’avant, quand ce temps n’était pas compté.

Exemple des contenus.

Dans ce temps scolaire réduit, ils (nos penseurs démolisseurs de l'école) n’ont même pas hésité une seconde à nous coller des petites matières nouvelles comme l’informatique et l’éducation à la sécurité routière qui, à ce modeste niveau, se font très bien à la maison, sans parler de l’initiation à une langue étrangère qui était juste une fausse bonne idée (je le démontrerai bientôt).
Et comment ont-ils fait entrer tout ça dans une semaine ramenée de 27 à 24 heures ? Eh oui, vous avez tout bon : ils ont rogné sur le temps consacré aux matières essentielles : la lecture, l’écriture, le calcul, le raisonnement, les sciences... Il a même été reproché à maints instit’s de ne pas faire sport pour travailler plutôt la résolution de problèmes ou la lecture, comme se le permettaient les anciens pour qui la pratique sportive n’était pas une nécessité, mais une activité qui se faisait de toute façon hors temps scolaire dans les bois environnants.
Dans la même veine, quelqu’un là-haut a eu l’idée de mettre une heure de sport en plus au collège. Ca n’est certainement pas pour lutter contre la difficulté scolaire, n’est-ce pas. Peut-être bien que quelqu’un là-haut a une pressante envie de transformer l'école publique en machine à priver le peuple de culture. Je parle naturellement d'une culture de la pensée critique. Les faits contredisent ici aussi le discours : l'école à deux vitesses, c'est d’ores et déjà maintenant.

Enfin les gouvernements dont je parle, tous d’accord, ont tout fait pour que 80% des élèves arrivent au bac et l'obtiennent. Pour faire plaisir à leurs parents ? Ou pour séduire ces électeurs ? Ils ont pour cela renoncé à l’exigence, créé des baccalauréats à petite vitesse pour des études au rabais. Si avec le bac noble, général, on peut encore entrer en prépa pour des carrières valorisantes - après avoir tout de même suivi des cours particuliers pour palier la faiblesse du niveau général au lycée -, avec le bac pro, on peut carrément prétendre à vendre des chaussures ou de l'assurance, ce que sans effort, ni études peut réussir n’importe quel individu normalement constitué. Ah, pour intégrer HEC, des parents fortunés avec capacité de piston, ça marche aussi.

(à suivre)

(1) A propos de chercheurs : ils ne sont pas payés pour chercher mais pour trouver, alors forcément ils trouvent, coûte que coûte, parfois n'importe quoi, sous peine de passer pour des incapables. Il faut bien justifier son salaire.
A propos du défunt Institut Universitaire de Formation des Maîtres : après bien des détours, sous couvert de revalorisation, le ministre (je ne sais même plus son nom !) a carrément supprimé la formation professionnelle initiale des enseignants et l'a remplacée par un master d'études générales sur les professions de l’enfance. Moralité : plus les enseignants font d'études, moins ils sont formés.



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