Pour maîtriser
l'usage d'une langue et en comprendre les subtilités, il vaut mieux être né
avec, ou avoir baigné dedans
suffisamment longtemps. S'il s'agit de s'exprimer couramment dans une langue autre
que le français, je ne vois donc de solution qu’en apprenant en même temps, dès
le berceau, langue maternelle et langue étrangère.
Il n’y
aurait d’ailleurs de ce fait plus de langue étrangère, mais une langue maternelle bis. Je ne prétends pas que
les parents enseignent une seconde
langue à leur bébé, et encore moins si eux-mêmes ne la maîtrisent pas
parfaitement. Je songe plutôt à une seconde langue tout aussi nécessaire que la
maternelle, langue de la mère, qui serait en toutes circonstances l'autre langue
pratiquée par une ou plusieurs personnes de l’entourage proche du bébé.
- N'est-ce pas dangereux ? L'enfant ne risque-t-il pas
de confondre les deux langues, de les mélanger, de les parler mal toutes deux,
d'en être handicapé pour le restant de sa vie ?
Bien
sûr que non ! Le problème des langues étrangères, c'est qu'elles sont
étrangères à la vie de l’enfant, déconnectées du réel, inutiles,
superfétatoires ; elles ne se justifient pas, quand bien même vous en
feriez un jeu. En revanche, si vous les rendez familières, tout change : l'apprentissage devient facile, naturel.
Si en
effet les grand-parents immigrés parlent italien avec leur petit-fils, quand ils lui
donnent à manger, jouent avec lui ou le consolent, l’italien devient pour le petit
garçon la langue du cœur et des choses banales de la vie quotidienne, la langue
de ses nonni. L’enfant l'apprend avec plaisir et facilité, en même
temps qu’il apprend le français de ses parents qui ne savent pas l’italien, car
malheureusement les nonni ont voulu qu'ils s’intégrent rapidement et pensaient le
faire au mieux en oubliant de parler italien à leurs enfants.
Dans
l’esprit du petit-fils, les deux langues, qui sont admises à égalité de valeur,
ne se mélangent pas, car chacune est utilisée toujours par les mêmes personnes, dans un même contexte.
Interrogations
Ainsi, ma petite-fille Maija
(bientôt 16 mois) aura pour langue maternelle le letton, la langue de sa maman.
Le français sera sa langue paternelle, et
un peu plus, si ses parents décident de rester en France.
Nadia s’interroge :
- Tout de même, je trouve qu'il y
a un risque, j'ai du mal à imaginer comment ça fonctionne.
- Le
risque serait que sa maman lui parle un français qu'elle ne maîtrise pas
elle-même : mauvaise prononciation, syntaxe fautive, vocabulaire
approximatif. Ou que le papa se mette à lui parler un letton qu’il a seulement
commencé à apprendre.
- Vu comme ça, oui, ça peut faire
du dégât.
- Tant
que chacun des parents ne lui parlera que sa propre langue maternelle, Maija
saura toujours, sans se tromper, dans quel idiome elle devra communiquer.
- Mais
est-ce qu’il ne serait pas possible que des parents, l’un allemand, l’autre
espagnol, par exemple, ne parlent tous les deux qu’en anglais à leur
bébé ?
- Quel
intérêt auraient-ils donc à lui apprendre à bafouiller dans un accent
épouvantable un anglais qu’eux-mêmes ne maîtrisent pas ?
- Mais il saurait se faire
comprendre dans le monde entier !
- Rien n’est moins sûr. A moins
qu’il vive en Angleterre… Auquel cas, l’environnement, les autres enfants pourraient corriger les lacunes et les erreurs de ses parents.
- Comment est-il possible alors d’apprendre à un enfant l'anglais
en même temps que le français lorsque personne dans sa famille n’a l’anglais
pour langue maternelle ?
- Eh
bien, ce n’est pas possible, tout simplement.
- Ah, bon ? Alors, la plupart des petits
français ne sauront jamais parler la moindre langue étrangère ?
Les dégâts irréparables de l’impérialisme linguistique
- Eh oui, c’est un triste constat.
L’école
de la république a causé un bien grand dommage en réprimant durant des siècles
- et aujourd’hui encore, d’une certaine façon ! - l’usage des langues
régionales.
La
voilà maintenant qui exige que les élèves des petites classes apprennent une
langue vivante, avec le peu de succès que l’on sait, alors que tous les enfants
avaient autrefois, partout en France, sur le bout de la langue un trésor linguistique,
sans le savoir, un trésor désormais perdu, ruiné, par l’école elle-même, des
dialectes, des patois, des parlers provinciaux qui pouvaient très bien cohabiter
avec le français et favoriser l’apprentissage futur d’une langue étrangère.
L'école
française, bras armé de notre jacobine république, s'est acharnée à éradiquer du
pays toute trace des langues régionales. Il a fallu pour cela qu'elle dénigre,
dévalorise, interdise les langues maternelles
que sont l’alsacien, le provençal, le breton, le basque, le picard,
et cetera. Le français, qui ne fut que latin de cuisine, devenu langue
littéraire, intellectuelle et bourgeoise, langue des dominants, devait
supplanter les idiomes de la paysannerie, non écrits et bêtes mais... néanmoins résistants.
La
république a donc imposé le Français comme langue, non pas maternelle, mais
nationale et patriotique. Deux méthodes ont fait son succès.
La
première est la répression directe, pure et simple : les anciens se
rappellent encore les punitions et les coups de règle sur les doigts quand un
mot de "platt" leur échappait des lèvres.
La
seconde est psychologique, c’est la propagande ; par le dénigrement
d’abord - les mêmes qui dans leur parler avaient des saveurs du terroir ont
connu les sarcasmes et les rires moqueurs que provoquaient leur accent et leurs
erreurs - ; par la crainte ensuite en prétendant qu'ils hypothéquaient l’avenir des enfants s'ils continuait de mal parler…
C'est comme
ça que l’école a sournoisement implanté dans nos cerveaux ce petit flic qui
nous rappelait constamment que la langue de nos grands-parents ne valait rien,
qu'elle était un obstacle à la réussite dans l'école et la société françaises.
Ainsi l’autocensure a véritablement entraîné la disparition de certaines
langues régionales et le déclin des autres. Quelle imbécillité ! Mais on
ne le savait pas. On pensait peut-être que le progrès va toujours dans le même
sens, que le faible doit s'effacer devant le fort et disparaître. Ah Darwin, mal compris !
Depuis,
l’état a fait un peu machine arrière, mais sous la pression des régionalistes
qui ne voulaient pas voir mourir leurs langues et cultures. C’est arrivé trop
tard, et d'ailleurs, la mesure de l'enjeu n’a pas été prise. Salut particulier à Jo Nousse qui a mené
un beau combat ici, dans le "Dreieckerlann", et gagné des batailles,
pour la sauvegarde du francique et son enseignement à l’école élémentaire,
avant même que le luxembourgeois, langue sœur, se trouve une fierté nouvelle,
s’invente un dictionnaire, une grammaire, des manuels scolaires, et reconquière
l’espace public.
Les
langues régionales sont ainsi entrées à l'école, mais comme des langues étrangères
mortes, puisque les enfants ne les pratiquent plus à la maison.
J’ai pour ma part eu la chance que le platt fût encore
en honneur chez mes grands-parents maternels qui m’ont beaucoup gardé tandis
que mes parents travaillaient, de même que chez mes oncles et tantes, et en
général les anciens du village où je venais en vacances avant que nous nous y
installions. J’ai parlé platt avec ma
grand-mère jusqu’à l’âge de sept ou huit ans, puis j’ai commencé à en être
gêné, victime moi aussi de la propagande républicaine.
Mais mon
oreille avait appris la petite musique francique aux accents toniques bien
marqués et la grammaire germanique, avec ses déclinaisons et son participe
passé rejeté à la fin de la phrase. Grâce à quoi, au collège, le phrasé et la
grammaire allemande m’ont paru familiers, faciles, et l'anglais après ça plus
facile encore.
Le droit d’exister
Le
Platt, le Luxembourgeois, je les ai donc oubliés pendant une longue période,
parce que l’école, la république, un certain snobisme, m’en faisaient honte. A
présent j’ai honte d’avoir cédé si bêtement à la bêtise ambiante, car comprendre
et parler cette langue, qui est ma langue grand-maternelle, était en réalité un
luxe que peu de mes camarades partageaient, pas même les enfants d’italiens ou
de polonais, dont les parents s’étaient interdit de leur apprendre le moindre
mot qui ne fût pas français. Et que disent-ils aujourd’hui ? « Nous
le regrettons. » Et que disent leurs enfants ? Ils le regrettent
aussi.
Alors ne commettez pas la même
erreur.
Parler votre
langue maternelle à votre enfant. Et lorsque, dans l’entourage de votre enfant,
il est une personne qui maîtrise mal le Français, encouragez-là à converser avec
votre enfant dans sa propre langue uniquement, fût-ce un patois, et laissez votre
enfant lui répondre pareillement. Songez quel enrichissement c'est pour l'intelligence !
Enfin,
lorsque vous voudrez que votre enfant apprenne une langue étrangère, veillez à
ce que cet apprentissage et cette langue soient validés par vous. Votre enfant
doit en effet comprendre que vous y attacher du prix si vous voulez qu'il y trouve une motivation.
Ne
dites surtout pas d'une façon dédaigneuse que le « nonno » ne parle même pas
le vrai Italien, mais une espèce de patois disgracieux des montagnes.
Et si
l'allemand est la langue étrangère enseignée à l'école élémentaire de votre
enfant, ne dites surtout pas devant lui que l'allemand, c’est moche, que ça ne sert à
rien et qu’on ferait mieux de lui apprendre l'anglais.
Et ne dites surtout pas que les Lulus
sont des cons si vous espérez que votre enfant gagne un jour sa croûte au
Luxembourg.
Reconnaissez au contraire la
beauté, l'originalité, l’utilité, le droit à l’existence de toute langue.
Mes petites-filles Maija et Ieva, et leur petite soeur Krista - deux ans et demi -, parlent couramment le letton et le français sans jamais les mélanger.
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