lundi 1 juillet 2019

Profession de foi


Faire apprendre et réussir, tirer vers le haut tous les élèves, c’est l’objectif - un défi. Je ne parlerai ici que de l'école primaire (maternelle et élémentaire) et lorsque j'utiliserai le mot système, il ne s'agira pas de l'Education Nationale, que je laisserai en dehors du propos, mais du microcosme constitué des personnels d'une école, de ses élèves et de leurs familles. Puisque néanmoins nous y sommes obligés, nous garderons évidemment l’idée que les élèves devront acquérir (au minimum) les attitudes, connaissances et savoir-faire précisés dans les programmes nationaux.

Mon parti pris : travailler en toute priorité à l’amélioration des interrelations et des représentations de chacun au sein du petit système constitué autour de notre école, afin de réussir là où les grandes réformes successives ont échoué.

Constats

Il est d’abord évident que l'enfant entre à l'école avec un bagage de connaissances et de capacités, qu'il a acquis au cours de sa vie d’avant l'école, et qu’il faut en tenir compte !

Dès leur première rentrée, certains enfants possèdent ainsi déjà une partie des compétences que l’enseignement est censé leur faire acquérir, et ces enfants continueront assurément de les développer en dehors de l'école, dans leur milieu familial. Leurs parents, pour certains, seront peut-être alors enclins à penser que leur enfant s’ennuie à l’école et ils en souffriront. Il faudra que l’enseignant l’entende et qu’un dialogue avec les parents s’engage.

D'autres enfants, en revanche, ne possèdent pas encore les compétences, ni même les dispositions, reconnues à leur âge comme « normales » ou moyennes, par la science, médicale ou psychologique, et sur lesquelles l’enseignant s'appuie pour commencer les apprentissages scolaires. Ces enfants-là n'ont pas eu et n’auront guère davantage l'occasion de les acquérir en dehors de l'école, au sein de leur famille. L’expérience le démontre : question de conditions de vie, de culture, de représentations… Comment l’école pourrait-elle ne pas en tenir compte et agir en conséquence ?

Ne soyons pas choqué par ce triste constat. Notre société n’entérine-t-elle pas et n’entretient-elle pas les inégalités entre les citoyens ? Pourquoi l’école échapperait-elle à cette forme de fonctionnement ? Il suffit de consulter les statistiques pour s’en rendre compte : « l’ascenseur social est en panne », nous disent les médias. Peut-on sans amertume songer que les enfants d’ouvriers doivent travailler dur pour mériter de se hisser dans l’échelle sociale, alors que les enfants de bourgeois n’ont rien à mériter, puisqu’ils ont tout de par la naissance. Cela veut-il dire que les enfants de parents économiquement, et surtout culturellement, pauvres seront toujours pauvres, et toujours riches les enfants de riches ? Oui, c’est un fait. Dès lors, qui dit que l’école réduit les inégalités et donne sa chance à tous ment.

Il ne faut pas confondre compétences et capacités. Les enfants, de quelque milieu qu’ils soient, ne naissent pas plus ou moins bêtes ou intelligents. Certains ont seulement la chance que leur entourage leur donne l’occasion d’utiliser leurs capacités naturelles et de développer ainsi leurs compétences.

Tout enfant possède en effet le patrimoine génétique de l’espèce humaine et par conséquent les capacités cognitives nécessaires et suffisantes pour acquérir sans difficulté les compétences requises par les programmes de l'école primaire.

Vrai ou faux, ce postulat invérifiable possède l’avantage sur toute autre approche de renvoyer à ses responsabilités chaque acteur du système, qu’il soit de la famille ou de l’école, de lui ouvrir des perspectives d’action, de permettre et de susciter l’espoir.

* * *

L’entrée à l’école peut constituer en soi, pour l’enfant et pour sa famille, une difficulté. Car voilà deux mondes qui, jusque là s’ignorant, tout à coup se rencontrent. Vont-ils s’apprivoiser ou au contraire s’opposer ?

L'école entre pour ainsi dire de force dans la vie de l'enfant et de sa famille, avec son environnement, ses objectifs, ses règles et son mode de fonctionnement particuliers, qui sont en grande partie différents de ceux de la vie en dehors de l’école, la vie dans laquelle on est entre gens de connaissance, entre proches, dans laquelle on aime, on se dispute, on s’amuse, on peine, on fait librement ce qu’on veut.
Cette fusion peut se dérouler de mille manières différentes, avec plus ou moins de bonheur, en harmonie ou au contraire dans l'affrontement, à l'avantage ou au détriment de l'enfant - ou de tout autre élément du système d’ailleurs.

Si dans beaucoup de familles les règles qui régissent la vie et les relations des uns avec les autres ressemblent à celles de l'école et peuvent amener les enfants à les accepter, il existe aussi des familles pour lesquelles les règles de vie de l’école sont des aberrations, totalement à l'opposé de celles qui prévalent pour elles-mêmes dans les circonstances de la vie courante.

Chaque enfant scolarisé pose ainsi un problème particulier, en raison de ce qu’il sait déjà ou ne sait pas, de la façon dont il est considéré et stimulé dans son milieu familier, de sa capacité à comprendre et accepter ou non les règles de l'école. 
Quand les deux mondes ne s’accordent pas, l’enfant se voit pour ainsi dire pris entre deux feux. Quelles règles en effet doivent prévaloir ? Celles de l’école, sans aucune discussion ! Car comment l’école pourrait-elle s’adapter à chaque cas particulier, sans que cela nuise à l’ensemble des élèves ?

C’est l’élève qui doit s’adapter à l’école, non le contraire.

Et si l’on veut que l’enfant accepte les règles de l’école, il doit impérativement se passer quelque chose, qui le concerne bien sûr, mais qui concerne au premier chef ses parents… sans quoi, il risque de ne guère avoir le cœur à s’intéresser à ce que l’école prétend lui apprendre.
Ce quelque chose n’est pas le fameux déclic, qui viendrait à l’enfant comme par magie, ainsi qu’on l’entend dire parfois, mais tout au contraire une évolution qui ne peut résulter que d’un travail conjoint des enseignants et des parents sur eux-mêmes.

* * *

Nous en arrivons ainsi aux représentations, qui sont la façon dont nous comprenons, concevons les autres et le monde, et qui déterminent la façon dont nous agissons avec les autres et dans le monde.

Chaque membre de chaque famille a ses représentations de soi-même, de sa famille, des autres enfants et de l'école. Pour diverses raisons liées à l’histoire personnelle et à l’environnement, ces représentations peuvent être constructives et gratifiantes, fluctuantes, incertaines ou négatives, voire destructrices ; elles influent sur la vie sociale de l’individu et peuvent de même favoriser un bon déroulement de la scolarité ou au contraire l'empêcher. Ainsi, débarquant en petite section, l’enfant a déjà des réticences, des envies, des exigences, des craintes, des espoirs, des illusions, qui gouvernent sa relation aux autres enfants, à l'école et aux adultes qui y travaillent, et qui découlent directement des représentations qu’ont ses parents de ces mêmes choses.

Cela ne se sait pas puisqu’en général, on ne dit pas ce qu’on pense d’autrui, ni ne pose d’emblée cette question ; le sujet est tabou.

Ce que l’on voit, en revanche, c’est l’enfant qui s’accroche à sa maman, qui pleure, qui ne parle à personne, qui refuse de suivre le groupe, qui reste fermé aux sollicitations de la maîtresse, qui se blottit dans un coin. Ce que l’on voit, c’est l’enfant qui crie, bouscule les autres, les frappe, balance le matériel à travers la classe, répond avec insolence aux adultes, se met en colère, ne fait que ce qui lui plaît.
Entre ces deux extrêmes, on trouve la majorité des enfants, plus ou moins calmes, plus ou moins hardis, plus ou moins obéissants, plus ou moins coopératifs, qui ont un comportement variablement adapté à la vie dans le cadre de l’école.

Devinez lesquels de ces enfants ont le plus de chances de se retrouver en difficulté à l’école ! Que faire alors ? Eh bien oui, il faut changer les comportements inadaptés, et pour cela, changer les représentations qui en sont cause.

* * *

Les enseignants ont également des représentations des élèves, de leurs parents, d'eux-mêmes, du métier d’enseignant et de l'école, qui peuvent constituer un moteur ou au contraire un frein pour le bon déroulement de la scolarité d'un élève.

« Certains enfants, aujourd’hui, sont imbuvables ! Ils ne s’intéressent à rien, ils n’ont de respect pour rien. Ils dérangent tellement qu’on ne peut plus faire classe normalement. Leurs parents ? C’est pire. Ils viennent à l’école régler leurs comptes avec d’autres parents, avec les maîtres ou avec la société. » Voilà des paroles qu’on peut entendre de la bouche d’enseignants.

Si l’opinion qu’un enseignant a de certains de ses élèves et de leurs parents n’est que négative, on imagine mal comment il prendrait à cœur son travail avec eux. Mais le bon instit’ n’a bien sûr que des représentations professionnelles, dépersonnalisées, volontairement construites, chose qui ne se révèle possible que dans la mesure où il est capable de faire abstraction de l’influence de sa propre histoire pour adopter un point de vue centré uniquement sur l’intérêt des enfants qu’il doit enseigner. Tout comme les élèves et leur famille, l’enseignant ne peut pas se dispenser d’une réflexion sur ses représentations, ses motivations, ses comportements. Il n’est pas nécessaire d’aller jusqu’à la psychanalyse, honnêteté et bon sens y devraient suffire.

* * *

En conclusion, la source de ce que nous appelons une difficulté scolaire ne peut pas être recherchée uniquement dans des lacunes supposément cognitives ou dans le niveau des compétences à un moment donné (qui n’est en réalité que le corollaire de la difficulté).

Nous rechercherons les causes de la difficulté scolaire dans le dysfonctionnement du système école-famille qui a pu générer inadaptation, incompréhension, désintérêt, conflit, frustration, découragement, et autres calamités.

L'enfant en difficulté n'est pas seul à devoir se remettre en question, il ne le pourrait d’ailleurs pas sans aide : le directeur d’école, l'enseignant, le papa, la maman, et d’autres personnes encore, doivent répondre à la question de leur responsabilité au sein du système.

  
La prochaine fois : les principes pour une collaboration fructueuse entre l’école et les familles

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